Il y a quelques semaines, Perrine a eu l’opportunité d’interviewer Ghislaine Pujol, scénariste et directrice d’écriture sur plusieurs séries diffusées à la TV. Ce fut l’occasion de lui poser beaucoup de questions sur le métier, auxquelles elle a répondu en détail. 

Voici la retranscription de cet entretien, où vous en apprendrez davantage sur ce métier qui fait un peu rêver (à tort ou à raison ?), sur les coulisses du milieu des séries françaises (assez différent de celui des USA), ainsi que les avantages et les inconvénients du métier.

Ghislaine Pujol, vous êtes scénariste d’animation, vous avez travaillé entre autres sur Code Lyoko et Kid Paddle. Vous êtes ensuite devenue directrice d’écriture, toujours pour l’animation. Comment avez-vous réussi à devenir scénariste, comment ça a commencé pour vous ?

« J’ai toujours voulu écrire, que ce soit au format roman ou bande-dessinée, raconter des histoires, c’était vraiment ma vocation depuis toute petite. Au fur et à mesure que j’ai grandi et que j’ai commencé à faire des études etc., j’ai toujours cherché un moyen de comprendre comment on pouvait faire de l’écriture sa profession. Évidemment l’attrait du cinéma a fait que je me suis renseignée sur l’écriture scénaristique de cinéma d’abord, et après mes études de philosophie, je me suis rendu compte qu’il existait deux formations à l’écriture cinématographique et télévisuelle à Paris : la première c’était la Fémis et la seconde c’était le Conservatoire Européen d’Écriture Audiovisuelle (CEEA). J’ai passé les deux concours et j’ai été reçue à celui du CEEA. J’ai donc déménagé à Paris, j’ai fait deux ans de formation, et on m’a appris à écrire spécifiquement le scénario pour le cinéma, la télévision et le dessin animé. Au bout de deux ans j’ai cherché du travail.

Après le CEEA, je ne suis pas tout de suite devenue scénariste, je suis passée d’abord par la case diffuseur. J’étais conseillère artistique pour M6 ; là, je lisais le scénario des autres et je disais « c’est bien, c’est pas bien ». Il y a une tonne de métiers autour de l’écriture. Tous les textes des scénaristes sont bien sûr lus par les sociétés de production, mais aussi par les chaînes de télé, qui donnent des indications pour que ça corresponde au ton de la chaîne qui va diffuser. Chaque chaîne a une marque de fabrique, un ton particulier, une cible. Par exemple le public de TF1 est plus jeune que le public de France Télévisions.

Après avoir fait mon petit passage chez M6 j’ai décidé que je ne voulais pas juger les scénarios des autres, ça ne m’intéressait pas ; moi, je voulais juste écrire. Voilà donc comment je suis devenue scénariste. »

Qu’est-ce que vous préférez dans le métier de scénariste ?

« Faire vivre tous les fantasmes d’histoires que j’ai en tête, des fantasmes qui viennent de moi quand j’étais enfant, puisque j’écris pour l’animation. Quand je regardais des dessins animés, petite puis adolescente, il y avait des scènes qui me faisaient rêver, des personnages qui me faisaient tripper. Puis je me suis dit : « J’aimerais retrouver ces sensations-là ». Quand j’écris une histoire, quand je travaille sur une série, c’est exactement ça que je cherche à retrouver. Quand j’y arrive, c’est la chose que je préfère, ça, et le retour des enfants, voir le jeune public ou les ados qui aiment cet épisode-là, ce passage-là, qui vivent en fait les mêmes sensations que j’ai vécues moi quand j’étais enfant. Ça, c’est le bonheur absolu. Je vis ma passion, c’est le top.

C’est pas un métier où on s’ennuie. C’est une prise de risque intime permanente, parce que même si vous écrivez une bête scène de poursuite entre deux personnages qui peut paraître anecdotique, vous mettez votre fantasme de ce qu’il va se passer dans la scène, c’est l’enfant ou l’ado qui est en train de se réveiller et qui écrit pour vous, donc quand on vous dit « c’est pas bien, on n’aime pas la scène » ou « il faut la reprendre », ça vous fait souffrir.

Il y a beaucoup de gens dans l’animation, qu’ils soient scénaristes, storyboarders, producteurs ou diffuseurs, qui ont cette part d’enfant qu’ils n’ont pas oubliée. »

Après avoir longtemps été scénariste, vous êtes devenue directrice d’écriture. En quoi ça consiste, quelles sont les différences principales avec le métier de scénariste ?

« Je suis toujours scénariste, et parfois directrice d’écriture. J’accepte d’être directrice d’écriture quand le projet me plaît, si la série correspond à ce que je sais faire. Le directeur d’écriture dirige une équipe de scénaristes. Les scénaristes, quand ils écrivent, ne sont pas tout seuls dans leur coin. Il y a un directeur d’écriture qui est la garantie pour le producteur et la chaîne de télévision que la série qu’ils ont commandée va être écrite de façon homogène et va respecter le cahier des charges, que les scénaristes ne vont pas faire n’importe quoi (parce qu’on peut interpréter de façons différentes cette bible scénaristique).

Le directeur d’écriture s’assure que les personnages se comportent toujours de la même façon, que leur façon de parler est homogène. Chaque personnage a son vocabulaire particulier, ça, il faut que ce soit conservé. Et puis le directeur d’écriture est généralement quelqu’un d’expérimenté, qui s’y connaît en dramaturgie et qui va pouvoir guider les scénaristes et les aider à écrire le meilleur scénario possible. Parfois, quatre scénaristes vous proposent la même histoire, le même concept, et là vous dites « c’est toi qui vas la faire, toi tu vas faire autre chose… »

Le directeur d’écriture va aussi être garant du respect de l’arche narrative dans le cas d’une série feuilletonnante. On sait ce qu’il va se passer tout le long de la saison, et le directeur d’écriture va distribuer les épisodes aux scénaristes en disant « toi tu vas faire tel moment de l’histoire, toi tu vas faire tel autre moment, toi ton histoire elle est un peu standalone (N.B. : un épisode qui se suffit à lui-même) mais tu vas pouvoir rajouter ce petit indice qui nous permet de planter la trahison du personnage dans l’épisode 15 ». C’est le directeur d’écriture qui a cette vision d’ensemble.

C’est donc un manager, mais pas seulement, parce que le directeur d’écriture est l’interlocuteur littéraire pour la production, c’est lui qui parle avec le réalisateur. Le réalisateur va dire « j’ai lu cet épisode, ça, techniquement on peut pas le faire, donc il faut changer ». Le directeur d’écriture revient vers le scénariste et lui explique pourquoi il faut changer. Le directeur d’écriture est aussi l’interlocuteur avec la chaîne de télé, c’est lui qui leur présente les textes. Quand la chaîne a un problème avec un texte, le directeur d’écriture veille à ce que les modifications soient faites pour que le diffuseur soit satisfait. Parfois, il va être tenté de convaincre le diffuseur qu’il faut faire confiance aux auteurs, à l’histoire. Sur une série feuilletonnante, la chaîne de télé ne sait pas forcément ce qu’il va se passer dans l’épisode 19, elle ne l’a pas encore lu. Là, le directeur d’écriture va dire : « Faites-moi confiance, je veux pas vous spoiler, mais vous allez voir, ça va être top ». Il est à la fois manager, artiste, technicien du scénario, commercial un peu aussi. C’est un poste clé, rémunéré par la production.

Le directeur d’écriture n’écrit pas forcément de textes. Là, par exemple, je suis directrice d’écriture sur une série, je n’aurai écrit aucun épisode de la série. Par contre, ce que fait souvent le directeur d’écriture, c’est un petit polish des textes pour uniformiser le ton. Comme le scénariste est déjà en train de travailler sur un autre épisode, le directeur d’écriture va faire les modifications lui-même. »

Quelles sont pour vous les difficultés du métier ? (Partie 1 : Scénariste)

« La difficulté du métier de scénariste, c’est qu’on est tout seul dans son coin et qu’on a un statut indépendant. C’est-à-dire qu’on est seul, on n’a pas le chômage, on ne vit que du droit d’auteur et des avances sur le droit d’auteur qui sont payées par la production. C’est donc un métier extrêmement précaire, les scénaristes sont extrêmement fragiles et tributaires de la bonne volonté des producteurs et des directeurs d’écriture qui les embauchent. Vous pouvez être scénariste, commencer à écrire sur un épisode, puis ce que vous faites ne plaît pas, vous vous faites dégager et là vous n’avez plus rien. Vous ne touchez même pas la totalité de la somme qui était allouée à l’épisode et vous n’avez pas de chômage, il faut vous retrouver un boulot.

Les scénaristes ont probablement le métier le plus précaire avec les livreurs des grandes plateformes de livraison. C’est vraiment très très dur, quand vous n’êtes pas connu, quand vous êtes dans une période compliquée, que vous n’arrivez pas à trouver de boulot, vous pouvez être sous les ponts, en fait. Une fois que ça marche bien, que vous avez des épisodes qui sont diffusés, vous touchez des droits d’auteur donc ça va mieux, vous pouvez vous permettre de ne pas travailler pendant un petit moment, mais les sociétés de production ont un droit de vie ou de mort sur vos projets et quasiment sur ce qu’il y a dans votre frigo, votre niveau de vie, c’est ça qui est terrible.

C’est vous qui payez vos charges sociales. L’argent que la production vous donne, vous ne touchez pas tout dessus, il faut vous garder la moitié à peu près pour les charges sociales, pour les impôts… Un scénariste doit être artiste mais il doit être aussi comptable, il doit être commercial pour se vendre, il faut tout le temps être en train de se demander : « Qu’est-ce qui va se lancer comme série ? Qui est-ce qu’il faut que j’appelle pour travailler ? » C’est un peu la jungle.

Vous postulez pour une série, donc vous lisez la bible littéraire, vous commencez à travailler sur des épisodes ; pour tout ça, il n’y a pas d’argent, vous n’êtes pas payé. Ce sont des heures et des heures de travail et d’investissement, vous écrivez un pitch — le pitch c’est une proposition d’épisode —, on vous dit : « C’est pas si bien, change ci, change ça », alors vous continuez à retravailler, tout ça n’est pas payé. Vous faites dix versions, et puis au final on vous dit : « Non, je suis désolé, ça marche pas, on te prend pas. » Un scénariste peut travailler trois-quatre mois pour rien, zéro. Ça c’est le plus dur, vraiment, chez les scénaristes. »

Quelles sont pour vous les difficultés du métier ? (Partie 2 : Directrice d'écriture)

« Directeur d’écriture, c’est différent, vous êtes employé par la production. Vous avez un contrat sur plusieurs mois, vous êtes à plein temps, votre salaire tombe à la fin du mois, il n’y a aucun souci pour ça, et comme vous êtes intermittent du spectacle, vous avez droit au chômage. Vous n’êtes pas censé toucher de droits d’auteur. Moi, quand je retouche les textes je suis payée par la production, je ne prends pas de droits d’auteurs à mes scénaristes, ça ne serait pas juste.

C’est beaucoup plus confortable d’être directeur d’écriture du point de vue financier. Par contre, vous avez des responsabilités : vous avez un planning et des réunions sans arrêt, plusieurs textes à gérer en même temps. Il y a un côté diplomate à avoir avec les chaînes, avec le réalisateur aussi ; c’est un métier de très forte tension nerveuse. Le plus dur, c’est le planning. La production vous dit : « Voilà, on va faire un planning sur l’année, voici les différentes étapes des scénarios, des 26 épisodes ou des 52 épisodes, et à telle date on doit recevoir le texte, à telle date il faut l’envoyer à la chaîne, à telle date il doit être validé », mais ça ne se passe jamais comme ça. Vous envoyez votre texte, vous en êtes content, puis la chaîne dit : « Ah mais non, on l’aime pas du tout, faut le refaire ».

C’est là que vous arrivez en mode négociation avec la chaîne pour les convaincre qu’il est chouette, ou avec la production pour demander si on ne peut pas prendre du retard. Vous rappelez votre scénariste, qui est parti travailler sur une autre série parce que c’était trop long, et vous êtes le méchant qui lui dit que son scénario n’est pas accepté, ce qui veut dire qu’il ne sera pas payé (l’échéance n’est payée qu’une fois le texte accepté).

Sachant ce que je vis en tant que scénariste, moi j’essaie d’être une directrice d’écriture protectrice, en promettant un minimum d’épisodes à mes auteurs, en disant « si tu viens sur ma série, tu vas en écrire trois-quatre minimum, je te lâche pas », j’essaie de ne pas virer les gens, je crois pour l’instant ne pas avoir viré qui que ce soit en cours d’écriture d’épisode, alors qu’il y en a qui ne se gênent pas, mais j’essaie d’être assez protectrice, de faire le tampon aussi, d’être un peu psychologue, quand ça va pas il faut qu’on parle, je reviens vers la production pour leur dire « là ça va pas, c’est pas possible de traiter les gens comme ça ».

Ce sont des difficultés différentes, c’est passionnant aussi d’être directeur d’écriture, mais ce n’est pas le même stress, ce ne sont pas les mêmes fonctions. C’est un cadre supérieur avec beaucoup de responsabilités. Ce qui est cool quand on est directeur d’écriture, c’est qu’effectivement, quand la série est finie un an plus tard — on a à peu près un an, un an et demi d’écriture — il y a le chômage qui tombe, si vous ne trouvez pas autre chose vous êtes un peu tranquille. »

À quoi ressemble votre journée de travail, concrètement ?

« C’est du plein temps, je suis sur l’ordinateur, j’ai des rendez-vous avec mes auteurs, avec le réalisateur, avec la production, avec le diffuseur, je lis les textes, je les annote, je les renvoie aux scénaristes, je fais des modifications ; c’est multi-tâches pour le directeur d’écriture. Pour le scénariste, c’est différent. Si je veux commencer à 11 heures et finir à 22 heures, je peux en tant que scénariste. Ce n’est pas une journée de travail classique, je peux travailler les week-ends si j’ai envie. En tant que directrice d’écriture j’ai des horaires de bureau, ce n’est pas pareil. Le scénariste, il va réfléchir, il va écrire des scènes, il va aller au salon, mettre de la musique pour se mettre dans l’ambiance. C’est un rythme de travail complètement différent qui est plus dans la réflexion : observer, se mettre dans l’ambiance, se nourrir, regarder une série, regarder un film, se nourrir d’images, se nourrir de sensations, s’imprégner. Puis après on fait des plans, on écrit, on réécrit, on imprime, on rature. C’est autre chose que gérer une équipe et différents textes. Dans tous les cas, c’est une journée un peu plus cool en tant que scénariste. Plus de musique, plus de café, plus de pauses, plus de temps pour s’imprégner d’un texte et d’une histoire.

Imaginez, vous devez rendre un synopsis et puis boum, page blanche. Vous faites quoi ? Vous pensez à autre chose, vous allez sortir votre chien, vous y réfléchissez. Et là il y a le directeur d’écriture qui vous appelle et qui vous dit :

« Eh, j’ai un planning à tenir, il est où mon synopsis ?

— Oui, ça vient, ça vient, promis, promis, demain ça va mieux… »

Vous passez une nuit blanche — ça peut arriver, un scénariste peut passer une nuit blanche. Vous avez trouvé, ça y est, vous rentrez dans votre scène, vous regardez l’heure, il est quatre heures de l’après-midi, vous avez pas déjeuné, vous vous êtes juste oublié dans une scène. Ce sont des journées vraiment différentes, des expériences de vie différentes aussi. »

Quels conseils donneriez-vous à une personne qui voudrait travailler dans le scénario d’animation ? Vous avez parlé des formations à Paris. Est-ce que des tremplins sont disponibles pour des jeunes qui voudraient essayer de se lancer ?

« Alors, déjà, 1 : c’est un métier extrêmement précaire, il faut le savoir. Vouloir être scénariste en se disant qu’on va gagner tout de suite des cents et des mille et qu’on va être salarié ça ne marche pas. Il faut être prêt à galérer un petit peu au début. Le deuxième conseil que je donnerais, le premier vrai conseil en fait, c’est écrire, écrire, écrire, écrire, écrire. Il y a beaucoup de gens qui veulent être scénaristes, et en fait ils n’écrivent pas. J’en vois trop. Ça ne marche pas ça, forcément. Quand vous allez être ensuite dans le métier, on va vous demander d’écrire, mais aussi de réécrire, de reprendre, d’améliorer, sans arrêt, de renoncer à des scènes qui vous plaisaient — apprendre à renoncer c’est le plus dur.

Il faut donc écrire pour expérimenter différentes façons d’écrire, se remettre sans arrêt en question, et puis surtout, une fois que vous écrivez, vous avez plein de choses à montrer aux professionnels. Si vous arrivez, même dans une école, en disant « voilà, j’aimerais être scénariste », « ah bien, qu’as-tu écrit ? », « bah j’ai deux trucs », là on ne va pas vous prendre au sérieux, vous manquerez d’expérience et ça ne marchera pas. Quelqu’un qui arrive et qui a déjà écrit beaucoup, il peut montrer, il peut faire lire, et il peut recevoir des conseils, ça montre qu’il a le goût de l’écriture, de la réécriture, et là du coup vous allez pouvoir intéresser des gens. Ensuite, le deuxième vrai conseil, c’est de faire énormément de formations, ou lire des livres sur l’écriture, sur le scénario. Les meilleures formations à l’heure actuelle c’est toujours le CEEA qui les donne, que ce soit en formation longue ou en formation courte. Pareil pour la Fémis, c’est l’excellence. Après il y a Mille sabords ! qui donne de très bonnes formations courtes aussi.

Je vous cite ces trois-là pour une raison particulière, c’est que ce sont des formations courues même par des scénaristes expérimentés, qui peuvent parfois vouloir se faire une petite formation, sur la comédie, sur le polar, la japanimation… Et donc vous allez rencontrer des professionnels en activité dans ces formations. Vous allez rencontrer des diffuseurs ou des producteurs qui veulent en savoir plus sur le scénario : en faisant ces formations-là, vous allez vous faire votre réseau professionnel. C’est ça qui est primordial, parce qu’ensuite quand vous voulez être scénariste, il faut faire lire à des professionnels ce que vous avez écrit, il faut trouver des gens pour lire, et trouver le réseau, c’est le plus dur. Donc si en plus vous faites une petite formation qui vous permet d’avoir accès au réseau, une partie du boulot est faite. Si on n’a pas fait la formation, ce qu’on peut faire, c’est essayer de faire lire à des producteurs.

Ce que je conseillerais à un jeune qui veut se lancer, c’est de regarder à la télévision ou au cinéma selon ce qu’il vise, ce qui se fait en France. Il y a beaucoup de jeunes scénaristes par exemple d’animation qui me contactent, qui me montrent de très beaux scénarios de japanimation, et je leur dis : « On ne peut pas le faire, ça, en France, ça ne se fait pas ». Il n’y a pas le marché pour ça, un petit frémissement, ça commence à faire des choses ados-adultes, mais il faut savoir que dans l’animation en France on ne travaille que pour les 6-8 ans. Maximum 6-10. Le cœur de marché ce sont les 6-8 ans. Donc si vous voulez vraiment en faire votre métier et travailler pour l’animation, vous allumez la télé, vous regardez Tfou, vous regardez Gulli, vous regardez France Télévisions, Ludo, Okoo et France 4, vous regardez du dessin animé français, et là vous voyez ce qu’il se fait. Alors, vous saurez si ça vous plaît toujours.

Vous regardez les noms des boîtes de production, vous regardez les génériques, vous notez, et vous contactez ces gens en disant « j’ai écrit, je pense être capable de faire quelque chose qui correspond à ce que vous faites et j’aimerais tenter ma chance, est-ce que vous voulez bien lire ce scénario et me dire si vous avez de la place dans une équipe pour me tester ? »

Autre petit truc pour se faire son réseau si on n’a pas fait une formation, c’est traîner dans les festivals d’animation, comme Annecy. Si on a un petit peu d’expérience on peut aller voir l’AGRAF ou La Guilde des scénaristes qui font des apéros régulièrement où on va fréquenter des scénaristes et se faire un réseau petit à petit. Mais en ce moment, se faire un réseau, avec le covid, c’est pas facile.

Un conseil très pratique : je regarde la télé, je regarde ce qui se fait actuellement, et je vois Droners par exemple, sur Tfou ; eh bien je vais essayer d’écrire ce qu’on appelle un spec script de Droners, je vais essayer d’écrire un épisode de cette série, même si elle est terminée, pour moi, pour voir si j’arrive à en choper les codes. Et après je balance ça à la production, ou à d’autres boîtes de production d’ailleurs, en disant : « Pour m’amuser, pour moi, pour mon exercice personnel, j’ai écrit ça, et je vous le fais lire pour vous montrer ce que je suis capable de faire. » Vous pouvez aussi créer vos projets personnels et les faire lire. Souvent, j’ai terminé sur des séries en envoyant des épisodes que j’avais écrits, des épisodes de séries inexistantes, ou de vieilles séries qui n’existent plus ; les producteurs ou les directeurs d’écriture ont lu et ont dit : « Ah c’est chouette, on va pas te l’acheter évidemment, par contre on a une série sur laquelle on pense que tu serais pas mal. »

Ça, c’est probablement l’une des choses les plus efficaces que vous puissiez faire si vous voulez un jour devenir scénariste, que ce soit en animation ou en fiction d’ailleurs. Regardez ce qui se fait, vous écrivez dans le même genre, vous prouvez ce que vous savez faire et vous envoyez. »

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous en ce moment ?

« Actuellement je travaille pour le développement et la mise en production de Jade Armor, une série de 22 minutes, 26 épisodes feuilletonnants pour la société de production TeamTO, et ce sera diffusé sur France Télévisions, Cartoon Network, HBO Max et sur SRTL en Allemagne. C’est une série kung-fu-fantastique-magique dans une espèce de Chine fantasmée et tout se fait en anglais. Les scénaristes français écrivent en français et c’est traduit en anglais, les Allemands lisent en anglais, mais il peut arriver que les scénaristes doivent écrire directement en anglais.

Si vous voulez travailler sur des séries internationales, on voit maintenant des plateformes comme Disney+, Amazon Prime, HBO Max, Netflix, pour lesquelles il vaut mieux savoir très bien parler voire même écrire en anglais.

Donc ça, c’est la direction d’écriture que je fais, et puis après j’ai des projets en développement dont un avec Ubisoft. Pareil, en anglais pour un gros diffuseur anglo-saxon. »

Votre métier fait partie des « métiers-passion » qui parfois dépassent les horaires de bureau ; est-ce que vous arrivez à trouver l’équilibre entre travail et vie personnelle ou avez-vous l’impression que le travail prend trop de place ?

« Maintenant que je suis expérimentée, je fais en sorte de prendre au maximum mes week-ends, je m’impose de prendre des vacances, parce que beaucoup de scénaristes ne prennent pas de vacances. Vous pouvez travailler deux ans, trois ans, cinq ans et vous prenez quatre jours de vacances. Mais il faut se l’imposer, parce que je connais beaucoup de scénaristes qui ont fini en burnout. À force d’écrire le soir, le week-end, la nuit, l’été… Un scénariste qui est en vacances, c’est un scénariste qui part à la mer avec son ordinateur par exemple. Et ça, il ne faut pas, parce qu’au début, c’est bon, vous pouvez le faire, vous êtes frais, mais vous accumulez de la fatigue et vous n’êtes pas bon au final.

Vous recourez à des clichés, à des facilités scénaristiques, vous n’êtes plus original. Petit à petit votre talent vous quitte. Je l’ai vécu comme ça à un moment donné où je faisais trop de trucs, et c’est là que vous pouvez décevoir. Ça, c’est un conseil que je donnerais : prendre du repos. C’est pas facile, il faut se l’imposer, il faut savoir aussi dire non.

Quand vous avez du succès, vous prenez, vous prenez, vous prenez, et puis à la fin vous craquez, vous n’êtes plus bon. C’est le risque. Et puis comme je le disais, un scénariste est précaire, quand la boîte de production lui dit « eh, ce serait bien que tu me rendes ça lundi » un vendredi soir à 18 heures, il n’ose pas dire non, il le fait. Il y a souvent des boîtes de production qui veulent demander des choses au mois d’août. Moi en tant que directrice d’écriture je dis :

« Mais au mois d’août, vous savez les scénaristes ils seront en vacances.
— Ah bon ? »

Tout le monde prend des vacances, sauf les scénaristes. Parce qu’il y a un planning à tenir. Quand un scénariste prend des vacances, c’est sur ses fonds personnels. Un scénariste en vacances, on dit que c’est un scénariste au chômage. Donc oui, on arrive à trouver l’équilibre, mais ce n’est pas évident. »

Pouvez-vous nous parler un peu plus de la différence entre la France et les États-Unis concernant les scénaristes ?

« Je travaille avec une directrice d’écriture américaine et des auteurs américains sur Jade Armor, et on voit que les scénaristes sont beaucoup mieux traités aux États-Unis, mais ils n’ont pas de droits d’auteur. Eux, ils ont des contrats, ils peuvent être engagés sur plusieurs épisodes, ils ne font pas 50 réécritures, ils en font deux, c’est tout. Nous, on peut nous en demander 10. Le minimum garanti, son salaire, est beaucoup plus haut que pour un scénariste français, il compense le droit d’auteur.

Globalement le scénariste américain est aussi plus respecté dans les médias. Un exemple : les scénaristes ne sont jamais cités aux César. On ne connaît pas les scénaristes français. Aux États-Unis, ils ont les show runners : ce sont des scénaristes. Le show runner va même piloter les réalisateurs, la direction artistique. En France, il s’occupe juste des textes. C’est à cause de la Nouvelle Vague en France. Le scénariste était aussi important qu’aux États-Unis avant, et puis il y a eu Truffaut, Godard…, et donc là c’est le mythe de l’auteur-réalisateur, celui qui écrit lui-même ses histoires et qui les filme.

Aux États-Unis, vous prenez Ridley Scott, le studio lui dit : « Voilà le scénario qu’on a reçu, qu’on a commandé, est-ce que tu es d’accord pour le réaliser ? » Il va être le technicien, le faiseur, avec énormément de talent mais c’est son talent à lui, la mise en scène, la mise en images, etc., mais si le scénario est nul, le film sera nul au final. En fait, c’est comme ça que j’ai appris qu’il y avait des scénaristes, je me disais « j’adore les films de Ridley Scott, donc je vais aller voir son nouveau film », et puis celui-là était nul, ah mince, j’irai voir le suivant. Le suivant n’était pas terrible non plus. Et je me suis rendu compte, en regardant les génériques, que les films que j’aimais, c’étaient toujours des films qui avaient été écrits par la même personne. On a beau dire « un film de », ce n’est pas forcément le réalisateur qui l’écrit. Si je veux un film avec une histoire qui me plaît, il faut peut-être que je regarde qui a écrit quoi.

Ça m’est apparu de façon encore plus flagrante sur les séries, parce que là on voit tout de suite « scénario de ». Par exemple, j’étais très fan de la série Buffy contre les vampires et je me suis rendu compte qu’à chaque fois que c’était écrit par Jane Espenson, j’allais adorer et que ce serait probablement un épisode très drôle. Et ça ne loupait pas. J’ai donc compris que Jane Espenson, scénariste, avait sa patte, qu’elle mettait toujours de l’humour, plus d’humour que d’habitude, et qu’elle avait des thèmes qui me parlaient.

Ça, on ne s’en rend pas compte en France. Et ce qui est marrant, c’est que c’est très typique du cinéma et de la télévision en France. On efface le scénariste, par contre au théâtre, prenez une pièce qui est écrite par quelqu’un, elle est écrite par Molière, et elle est mise en scène par untel, les deux talents sont complémentaires. Un metteur en scène va transformer le texte de Molière, mais ça reste son texte. Ce respect du texte est resté au théâtre alors qu’au cinéma et à la télé, il a été totalement effacé. Mais il y a ce côté littérature qui fait que la pièce de théâtre peut être lue en tant que telle. Un scénario peut l’être aussi ; vous voyez sur Internet le scénario d’untel sur ce qu’aurait pu être Alien 3 par exemple. Les gens lisent des scénarios, même s’ils n’ont jamais été faits, ce sont des œuvres à part entière. Ce n’est pas édité.

Aux États-Unis, on peut trouver des scénarios édités, ils sont vraiment mis en avant. Si vous parlez avec des scénaristes vous verrez qu’ils trouvent que globalement il y a une vraie injustice vis-à-vis du scénario et des scénaristes. Et c’est rendu plus critique en France par le fait qu’on a un statut et une précarité particulièrement dures à vivre. C’est pour ça que si vous voulez être scénariste, il faut vraiment avoir ça en vous. En fait il y a souvent des storyboarders, des producteurs, ou même des diffuseurs qui se disent « moi j’ai envie d’écrire des histoires aussi, je vais être scénariste », et ils essaient, ils font ça deux ans puis ils disent « ouh là là, quelle horreur ! »

Au début ils quittent leur poste pour écrire, et puis au bout d’un moment il n’y a plus de chômage, et ils ne gagnent pas leur vie, et ils se disent : « Ah c’est affreux ! »

C’est très dur, mais quand ça marche bien, qu’on a nos belles expériences, qu’on retrouve nos fantasmes et qu’on fait ce qu’on voulait faire dans une histoire, au final, ça compense tout ça, heureusement. S’il n’y avait pas de compensations, il n’y aurait pas beaucoup de scénaristes. »

Un grand merci à Ghislaine pour le temps qu’elle nous a accordé.