Revue volatile

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Horizon : cueillir des racines et chasser après l’apocalypse

par Wanda | 28 Mar 2021 | Chroniques

Horizon : cueillir des racines et chasser après l’apocalypse

par Wanda | 28 Mar 2021 | Chroniques

Temps de lecture : 8 minutes

Octobre 2020. Achat d’une PS4 d’occasion sous le manteau. Objectif : distraction. Résultat : subjugation. Voici donc comment a commencé mon aventure avec Horizon.

Article Sapin

© Guerrilla Games

Quand on crée, on a toujours des influences. Pourtant, lorsque vient le moment d’admettre nos sources d’inspiration, on peut parfois hésiter, car on a l’impression qu’elles ne sont pas légitimes, ou qu’elles ne valent pas grand-chose. De mon côté, il y a un médium relativement récent que j’ai longtemps eu du mal à considérer comme une influence crédible : le jeu vidéo.

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai eu une manette entre les mains. Simplement ça a toujours été un divertissement, une excuse pour le délassement. Alors plus j’ai grandi, plus je me suis posé la question : « Je ne vais quand même pas jouer à ça toute ma vie, si ? » L’impression que ça me correspondait a fini par s’évaporer. Je me suis dit : « Je suis grande maintenant ». J’ai arrêté.

Et puis est arrivé le master de création littéraire. Durant ces deux années d’études, tout naturellement, mes camarades et moi avons mis des mots sur notre processus créatif ; nous avons conscientisé ce qui nous nourrissait. Pour ma part, j’ai reconnu les différents média qui me plaisaient. Et naturellement, le jeu vidéo est revenu se faire sa place dans ma sphère culturelle. Sans cela, sans doute, je n’écrirais pas cette chronique aujourd’hui.

Ainsi, laissez-moi vous présenter un jeu qui m’a récemment subjuguée, comme ça ne m’était plus arrivé depuis plusieurs années. Laissez-moi vous présenter Horizon : Zero Dawn.

 

Avant de commencer, petit lexique :

– jeu en monde ouvert, ou open world game : jeu présentant un monde plutôt grand, sans nous limiter à une intrigue en ligne droite. Des quêtes annexes, de la collecte d’objets, des activités diverses et variées s’ajoutent à la quête principale, ce qui laisse une grande liberté au joueur dans sa façon de jouer. Zelda : Breath of the Wild (Nintendo Switch) est le dernier grand succès du jeu en monde ouvert.

– jeu vidéo de rôle, ou role-playing game : jeu où il est possible d’incarner un personnage dont les évolutions sont au centre de notre façon de jouer. Cela implique parfois des choix moraux, comme dans Fallout 3 (PS3), où l’on peut choisir, par ses actions, d’être un bon samaritain ou une véritable ordure.

– postapocalyptique : sous-genre de la science-fiction qui situe son intrigue après la fin du monde. Ce monde d’après tourne souvent autour de la question de la survie, de la reconstruction, de l’héritage… Le célèbre roman Je suis une légende de Richard Matheson appartient à cette catégorie.

– cyberpunk : autre sous-genre de la science-fiction. Il met en scène un univers futuriste, représenté de façon souvent pessimiste. Ses héros sont désabusés et cyniques, et la technologie s’est introduite jusque dans leur propre corps. Le roman de Philip K. Dick (et son adaptation au cinéma par Ridley Scott) Blade Runner est un exemple typique de cyberpunk.

 

Horizon : Zero Dawn – Mais qu’est-ce ?

Sorti en 2017 sur PS4, créé par le studio Guerrilla Games, Horizon : Zero Dawn est un jeu de rôle et d’action en monde ouvert qui suit le périple d’Aloy.
Aloy est une jeune femme en quête de sens dans un univers où la nature a repris ses droits à la suite de l’extinction presque totale de l’espèce humaine. Elle veut comprendre d’où elle vient, ainsi que les origines du monde qui est le sien. En effet, celui-ci est peuplé de machines, mélanges d’animaux et d’une mécanique futuriste ; ces créatures se fondent dans le décor, broutant au milieu de vastes prairies, se baladant entre deux carcasses d’immeubles.

Comment est-on passé de notre monde à ce monde-ci, où la faune et la flore ont complètement absorbé les intelligences artificielles et autres machines jadis engendrées par l’homme ? Pourquoi l’être humain, autrefois urbanisé, ne subsiste-t-il plus que sous la forme de quelques tribus éparpillées, qui sont revenues au mode de vie des chasseurs-cueilleurs ? Ces questions sont au cœur du récit.

 

Crépuscule et décès inopinés

Le cadre d’Horizon est celui de la nature, entre montagnes enneigées et plateaux arides, jungles tropicales et vastes plaines. Ce qui frappe d’emblée, c’est que le jeu est une véritable claque visuelle – et ce encore maintenant, quatre ans après sa sortie. Les développeurs ne se privent pas pour nous immerger dans leur univers ; cela se ressent dans la direction artistique à chaque seconde.

Ainsi, le jeu fonctionne sur un système jour/nuit, c’est-à-dire que le temps passe automatiquement, comme dans la vraie vie. Si vous restez debout au même endroit pendant plusieurs minutes, vous verrez le soleil se coucher puis se lever, un orage éclater ou disparaître, et ainsi de suite. Grâce à ces multiples variations, l’environnement semble vivre indépendamment du joueur. Inutile de parler des heures passées à observer l’aurore et le crépuscule, à guetter l’éclat de la lune entre deux nuages. Inutile également de mentionner les nombreux décès advenus à la suite de vaines tentatives pour atteindre les meilleurs points d’observation de la gigantesque carte du jeu (la vie est une chose si fragile).

Article Sapin

Une autre chose qu’il convient de noter, c’est le soin apporté à l’ambiance sonore. Les cris d’oiseaux, les bruits du vent dans les arbres, les frottements de l’herbe contre la tenue d’Aloy alors qu’elle progresse au travers de la nature sauvage… Rapidement, on peut faire l’impasse sur nos objectifs et décider de consacrer une journée entière (dans la chronologie du jeu, pas d’inquiétude) à ramasser des plantes médicinales en écoutant les gloussements des renards tapis dans les fourrés. Le personnage lui-même s’anime indépendamment du joueur : parfois, Aloy se parle toute seule, se félicitant d’avoir trouvé une racine en particulier ou se réprimant car elle a dévalé une pente trop rapidement.
 

C’est infime, c’est anodin, et pourtant c’est tout ce qui caractérise Horizon, et de façon plus générale le jeu vidéo :  le sens du détail. Là où ce qui nous est donné à voir dans un livre ou une série est figé, puisque nous sommes des consommateurs passifs et que nous ne pouvons que suivre ce que les créateurs ont choisi de nous montrer, le jeu vidéo se démarque justement par la flexibilité qu’il permet. C’est une peinture en 4D, en mouvement constant, ce qui conduit à déployer des trésors d’inventivité pour mener à la suspension délibérée de l’incrédulité du joueur. C’est d’autant plus vrai dans les jeux en monde ouvert, où la liberté du joueur, sans être totale, est maximisée.

 

Retour à la nature et collapsologie

L’autre chose qui rend Horizon particulièrement unique, c’est son mélange insolent des genres. À première vue, en effet, le jeu nous propose une expérience en rapport avec un mode de vie bien éloigné de ce que l’on connaît aujourd’hui : chasser pour se nourrir, concocter des potions grâce à des plantes, pister et traquer des animaux… Nulle expérience d’une société moderne, comme ça peut être le cas dans une autre sortie vidéoludique de science-fiction plus récente, Cyberpunk 2077 (qui comme son nom l’indique… met en scène un univers cyberpunk).

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En un sens, Horizon met bien en scène un mode de vie éloigné du nôtre : il s’agit surtout pour nous, en tant que joueur, de nous conformer à la Terre et à ses exigences. Pour donner une idée de la tonalité du jeu, il suffit de constater que le peuple dont est issu Aloy, les Noras, base sa conception du monde sur un respect profond de la nature, l’appelant « la Toute-Mère ».

Et la mythologie d’Horizon ne s’arrête pas là. Elle incorpore d’autres éléments de la science-fiction qui, a priori, n’auraient rien à faire ici. D’un moment à l’autre, c’est presque comme si on naviguait entre plusieurs jeux. Ainsi, je vous ai parlé des machines qui peuplent l’univers ; j’y ai fait allusion, ce ne sont bien sûr pas de simples machines. Elles ont pour vocation de reproduire la faune, de s’y substituer. Cet élément de narration n’est pas juste esthétique : il met en jeu une question importante, celle de la relation de l’homme à la technologie.

Pour Aloy, cette problématique implique de se plonger dans un passé flou. La jeune femme va de ruine en ruine, explorant d’anciens labos et déterrant des enregistrements, des témoignages, téléchargeant des bases de données pour reconstituer le puzzle de l’extinction humaine. Cette entreprise d’archéologie permet de lier l’orientation écologique (si c’est le terme approprié) de l’univers où Aloy vit à des thèmes plus proches de la science-fiction postapocalyptique. Plus Aloy déterre les secrets du passé, plus l’on suit la lente escalade des erreurs humaines, jusqu’à l’explosion finale, dans une narration à rebours.  

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En tant que produit de ces circonstances, Aloy constitue un lien intéressant entre deux facettes de la même question : et maintenant ? Il est particulièrement cocasse de constater le décalage entre le monde tel que ses congénères le perçoivent et la réalité qui le sous-tend : dans Méridian, la capitale, des collectionneurs nous haranguent à la recherche d’artefacts précieux. Les artefacts en question ? De vieux mugs aux couleurs de corporations oubliées. Les Noras, eux, vénèrent un laboratoire souterrain comme la manifestation de la Toute-Mère, et les autres peuples appellent les humains d’avant (c’est-à-dire… nous) « les Anciens ». Les contradictions des deux univers se manifestent jusque dans le panorama, au travers de ces machines et de ces ruines qui coexistent avec une végétation qui peut à nouveau respirer ; plus encore, les modes de vie s’entrechoquent, puisqu’on ne tarde pas à découvrir que les machines sont mises à profit dans les guerres de clans que se livrent certaines tribus.

Ce qui est étonnant, c’est que ce mélange va de soi. On se prend au jeu tout de suite, en dépit du côté assurément fantaisiste de ce futur hypothétique. Plusieurs fois, j’ai ressenti une drôle d’envie… Celle de réussir à créer quelque chose d’aussi curieux. Or, à partir du moment où on a cette pensée, le créateur n’a-t-il pas réussi son pari ?

 

Alors voilà mon coup de cœur du moment… Horizon : Zero Dawn. Un jeu immense, aux influences multiples et au discours composé d’innombrables ramifications. Je pourrais continuer pendant encore des heures… mais je suppose qu’il faut bien se retenir (un peu).

Pour clore cet article, et si vous voulez aller plus loin, je vous laisse sur un autre bijou vidéoludique, tout aussi marquant par sa maîtrise de la narration et de l’immersion : The Last of Us. Les gens qui me connaissent se diront sans doute « mais elle a pas bientôt fini de nous parler de ce jeu ? ». La réponse : non.
Sorti en 2013, devenu un monument à la fois du jeu vidéo et du genre postapocalyptique (dans la lignée entre autres du roman La Route, de Cormac McCarthy), et bientôt adapté en série télévisée par HBO (Game of Thrones, Westworld, Chernobyl) avec notamment Pedro Pascal (The Mandalorian) au casting, The Last of Us raconte le road-trip de Joel, un cinquantenaire désabusé, et Ellie, une adolescente sarcastique, à travers une Amérique ravagée par un champignon qui a transformé la majeure partie de la population en zombies ultraviolents (oulalah, rien que d’en parler, ça m’émoustille).

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