Bonjour Marie, et tout d’abord félicitations ! Le premier tome de ton roman L’Envol du Renard a été publié en septembre dernier aux éditions Tirage de Têtes une maison d’édition associative gérée par les étudiants du master Métiers du livre et de l’édition de l’université de Rennes.
Avant de parler de cette expérience de publication, voici déjà un résumé de l’histoire :
Icare a six ans lorsqu’il se réfugie dans la forêt Bleue, tout en haut d’un Arbre-Père, ces grands sapins protecteurs aux aiguilles bleutées et à l’aura magique. Seul, perdu, il ne doit son salut qu’à Grahams, ce vieil homme si doux qui l’accueille chez lui et le prend sous son aile. À l’abri des hommes et de leurs vices, les années passent et Icare grandit serein, heureux.
Mais l’arrivée d’Aidan dans sa vie chamboule toutes ses certitudes. Les hommes pourraient-ils avoir une part de bonté ? L’amitié qui les lie conduira bientôt Icare à s’interroger sur sa propre identité et, qui sait, peut-être osera-t-il franchir l’orée de la forêt, cette frontière qui le tétanise…
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Peux-tu nous en dire un peu plus sur l’origine de ce roman ? D’où vient l’idée initiale et quelle place ce roman occupe-t-il dans ton parcours d’auteure ?
C’est une idée qui date ! Les premières lignes, que j’ai laissées quasiment inchangées depuis, ont été écrites lors de mon premier boulot d’été à mes 18 ans. Je travaillais pour un camping dans le Jura et mon job était de faire payer l’entrée du parking : enfermée pendant 7h par jour dans un cabanon d’1m² à 2km du camping, perdue au beau milieu de la végétation jurassienne. Pas besoin de te faire un dessin, l’ennui a été mon grand copain de cet été-là, donc j’ai fait le seul truc que j’avais le droit de faire : écrire, en m’inspirant de la forêt qui me faisait face. Après ça, les idées se sont enchaînées et j’ai écrit l’intégralité de la première version pendant mes deux ans (pendant mes cours) de DUT. C’est un projet important pour moi de par son sujet mais aussi de par la philosophie des personnages (je me refuserai à employer les mots croyance ou religion). C’est aussi un des premiers que j’ai terminés, je crois.
La forêt tient une place importante dans ton roman – elle est même habitée d’une force magique –, ton pseudo est Sapin… il semblerait que tu entretiens un lien fort avec la nature ! En quoi cela nourrit-il ton écriture ?
Comme tu le dis bien, la nature est pour moi très importante. Je ne suis pourtant pas une fervente écologiste, ou même une militante végane. Ce que je veux dire, c’est que les arbres, les fleurs, les plantes, les plus petits insectes et tout ce qu’on oublie méritent pour moi un respect qui, clairement, s’est perdu au fil des générations (depuis les chasseurs-cueilleurs, c’est pour dire !). En soi, je n’ai pas l’impression que cette conviction, quasi animiste au final, nourrisse vraiment mon écriture – plutôt moi-même, en fait. Je dirais qu’elle m’a accompagnée pour ce projet en particulier, peut-être un de ceux qui reflètent le mieux ma façon de voir le monde.
Un autre thème important de ton roman est celui du libre-arbitre. Sans dévoiler la fin, le personnage principal, Icare, est amené à s’interroger sur son identité et à faire des choix forts, quitte à couper certains liens… est-ce une façon pour toi d’interroger le lecteur sur son rapport à sa propre identité ? Pour toi, est-ce important de se défaire de certains liens pour exister en tant qu’individu ?
Ah, là on est sur un thème qui nourrit mon écriture ! L’identité. Je trouve ça tout à fait fascinant, ce questionnement continu de l’être humain sur sa propre identité. Ça existe depuis des millénaires, il y a des tonnes de bouquins de psycho, philo et même développement personnel sur le sujet — et il en sort tous les jours —, je serais pas étonnée qu’il existe des domaines de recherche spécialisés dans le questionnement de soi ! Le lecteur n’a pas besoin de moi pour se poser la question, je crois, mais j’ai aimé exagérer les traits de cette problématique de crise identitaire par le biais de la fantasy. Honnêtement, je ne saurais pas trop répondre à ta dernière question, parce que c’est quelque chose qui, personnellement, me désintéresse (ou bien je suis dans le déni du fait que ça me préoccupe ? Bonne question). Je ne considère pas que chacun d’entre nous est constitué d’un seul individu. Pour moi, on est autant d’individus qu’on fréquente de milieu sociaux, professionnels, personnels, etc. On a besoin de rien pour exister en tant que tel, il faut juste s’accepter comme on est, c’est tout.
D’après mes informations, tu as écrit ce roman « porte ouverte », c’est-à-dire en partageant au fur et à mesure les chapitres à tes compagnons d’écriture (qui sont également membres du collectif) : quel regard portes-tu sur cette expérience ? Qu’est-ce qu’elle t’a apporté ? Comment cela s’articule-t-il avec ton processus d’écriture ?
Le groupe de lecture a joué un rôle majeur dans la réécriture de ce roman. J’ai un peu triché, comme ma première version était finie depuis longtemps, mais mes dieux, quel torchon ! Sans compter les milliers de fautes, le texte était inondé de maladresses en tout genre. En soi le scénario de base n’a, je crois, pas changé, et il y avait peu d’incohérences. Mais j’ai changé énormément de passages, sans parler des détails, suite aux conseils avisés de mes camarades.
Partager ses écrits avec un groupe de lecture/écriture est pour moi un moteur, une véritable motivation au quotidien. Ça nous « pousse », dans le bon sens du terme, à écrire de façon plus professionnelle, plus régulière et plus rigoureuse. Chaque nouvelle réunion est une opportunité de finir un nouveau chapitre.
À propos de processus d’écriture… comment fonctionnes-tu ? As-tu l’histoire et les personnages en tête avant de commencer à écrire ? La réécriture et les corrections occupent-elles une place importante dans ton cheminement ?
Ceux qui me connaissent le savent parce que je suis chiante à ce sujet. Je fonctionne avec des îles et des ponts. Cette métaphore ne vient pas de moi, je ne sais même plus qui m’en avait parlé, mais elle me parle tellement que je l’ai adoptée (et pourtant je déteste tout ce qui touche à le mer ou l’océan, aux plages et au soleil, mais passons !). J’ai des scènes toutes prêtes dans ma tête, et mon travail d’auteure est simplement de comprendre comment les relier entre elles : des îles entre lesquelles je dois ériger des ponts. Ces scènes viennent souvent de moments d’écriture « orale » ; en gros, je me fais les dialogues dans ma tête, souvent à haute voix, parfois même en anglais (allez savoir pourquoi), quasi systématiquement sous la douche, et paf ! ça donne une scène que je ressasse pendant deux-trois jours avant de l’écrire correctement. Le document Word sur lequel j’écris est, de ce fait, souvent illisible, mais je m’y retrouve !
Et comme j’écris souvent très rapidement une fois que je suis lancée, clairement, la réécriture, les corrections surtout, prennent une place gargantuesque dans ma relecture. Mais, cela dit, ce sont des « détails », je veux dire que les grandes lignes ne changent pas, ou rarement. J’ai tendance à considérer que si un de mes personnages fait n’importe quoi, c’est que c’est sa volonté, c’est lui qui a guidé mon écriture. Je serais une terrible personne si je contrariais mes créations !
Parlons maintenant de la publication : comment le projet d’édition a-t-il émergé ? Quel a été le travail mené avec Héloïse Marquier, ton éditrice ? Que penses-tu de cette première expérience d’édition ?
Héloïse avait déjà lu mon roman avant d’être en master Édition ; elle m’avait aidée à le corriger. Elle m’a recontacté pour son projet de deuxième année qui vise à publier un roman (faire le travail de A à Z, c’est colossal) dans le cadre d’une création de collection de sa maison d’édition fictive. J’espère ne pas dire de bêtises, elle en parlerait sûrement beaucoup mieux que moi. En bref, elle m’a contacté pour me proposer l’idée, j’ai été super emballée, alors on a commencé à travailler ensemble. Enfin, surtout elle, puisqu’elle mené le travail de correction en plusieurs étapes ; c’était très professionnel, je devais donner mon accord, ou pas, pour chaque changement. Elle a ensuite créé la maquette, que j’ai dû là aussi approuver. Elle a pensé à une illustratrice pour la couverture, m’a présenté quelques dessins, et j’ai tout de suite accroché. Héloïse a donc fait l’intermédiaire entre l’illustratrice et moi pour gérer mes petits caprices de ce que je voulais ou non, pour que finalement on arrive à l’illustration actuelle (bravo à elles !). Ensuite, elle m’a proposé plusieurs couvertures (avec différentes polices, différents placements, etc.), puis, enfin, elle m’a montré le produit fini. Et c’était trop bien de le voir, de l’avoir.
J’imagine que cette expérience était un peu différente de ce qu’on pourrait retrouver réellement en maison d’édition, mais je pense qu’Héloïse a été vraiment très professionnelle, elle m’a écoutée et a répondu à toutes mes interrogations, m’a accompagnée et a vraiment réalisé un travail incroyable. Personnellement j’ai adoré travailler avec elle, et si (quand !) elle aura sa propre maison d’édition, si elle veut encore de moi, c’est à coup sûr le nom de sa maison d’édition que vous retrouverez sur mes prochains romans.
Il semblerait que ton roman soit en rupture de stock… une réimpression est-elle prévue ?
Pas de réimpression prévue aux éditions Tirage de Têtes. Après, rien ne dit que je ne cherche pas un autre éditeur…
Le premier tome est centré sur le personnage d’Icare… Peut-on avoir un indice concernant le deuxième tome ? Es-tu en train de l’écrire, ou travailles-tu sur d’autres projets ?
Mon groupe de lecture peut en témoigner, un tome 2 est en route ! Icare — ou presque — reste mon personnage principal mais le décor va quelque peu changer, lui.
Ces derniers temps, je me relâche un peu dans l’écriture pour privilégier les moments passés avec ma fille. Mais j’essaye de m’y remettre, petit à petit, le groupe de lecture aidant pas mal à me replonger dans l’aventure. Enfin, les aventures : je suis ce genre de personne qui aime avoir deux projets en même temps !
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