Revue volatile

Dans ce coin-ci, nous partageons nos coups de cœur, tribulations de créateur·rice·s et actualités aériennes.

« La fiction et l’imaginaire sont souvent les meilleurs outils pour parler de ce qui nous préoccupe. » 

par Juliette | 15 Oct 2023 | Interviews

« La fiction et l’imaginaire sont souvent les meilleurs outils pour parler de ce qui nous préoccupe. » 

par Juliette | 15 Oct 2023 | Interviews

Juliette Kerjean lors d'une séance de dédicaces, dans les Côtes d'Armor.

Suite à la publication de son premier roman Le contrat sans fin aux éditions Les Presses Littéraires, Juliette revient dans une interview sur ce qui a motivé et guidé son travail d’écriture.

*

 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Juliette Kerjean, une primo-romancière de 32 ans. Je suis née à Toulouse de parents bretons et j’habite actuellement à Narbonne, où je travaille en tant que médiatrice culturelle dans un théâtre. L’écriture a toujours été une boussole pour moi. Il y a quelques années, j’ai décidé de lui accorder une place plus importante dans ma vie. C’est ainsi que j’ai commencé l’écriture de mon roman Le contrat sans fin, une dystopie sur le monde du travail, sur lequel j’ai travaillé pendant trois ans. J’ai également repris des études à l’université, en Master Création littéraire.

Mon écriture se nourrit de mon parcours, notamment de mes études à Sciences Po Toulouse, qui ont aiguisé mon regard sur le monde, et de mes premières années de vie active, qui m’ont causé quelques désillusions. J’ai à cœur de porter un regard sensible et affûté sur ce qui façonne notre humanité : la fiction et l’imaginaire sont souvent les meilleurs outils pour parler de ce qui nous préoccupe.

Est-ce votre premier livre ? Quels en sont les thèmes et pourquoi vous tiennent-ils à cœur ?

Le contrat sans fin est mon premier manuscrit, à la fois écrit, finalisé et publié.

C’est un roman qui parle de notre rapport au travail et au bonheur.

Aujourd’hui, pour beaucoup d’entre nous, l’enjeu n’est pas seulement d’avoir un travail, mais de trouver un sens à son travail. Peut-être même le sens à donner à sa vie. C’est à la fois grisant et un peu dangereux, car tout peut s’effondrer du jour au lendemain. Cela pose aussi une question d’ordre philosophique : si le travail donne du sens à l’existence, alors il peut en devenir la finalité propre… mais le but de la vie est-il de travailler ?

Ce désir d’épanouissement, cette aspiration au bonheur, le monde de l’entreprise l’a très bien intégré : ce n’est pas pour rien que des métiers comme celui d’happiness manager ont fleuri ces dernières années. Mais parallèlement à cette volonté que les salariés soient épanouis dans leurs « missions », il y a aussi une autre évolution notable du monde de l’entreprise : une recherche permanente de diminution des coûts, une course à la productivité et à la compétitivité, et donc une intensification du travail… Dans ce contexte, les questions de bien-être au travail peuvent parfois apparaître comme de la poudre aux yeux : une façon d’éviter de s’attaquer au cœur du problème, qui est beaucoup plus structurel.

C’est une question complexe, que j’ai voulu mettre au cœur de mon roman. L’intrigue tient place dans une société imaginaire, dans laquelle les Entreprises ont remplacé les Etats, et qui place le marché et la recherche du bonheur au cœur de son système. J’ai voulu prendre des éléments déjà présents au sein de notre société et les porter à leur paroxysme, pour voir quel monde cela donnerait. Le résultat est à la fois très proche de nous, et suffisamment distant pour nous heurter.

Au-delà de ce thème central, il me paraissait important de donner une place importante aux personnages : leurs désirs, leurs valeurs et les liens qui les unissent sont les moteurs de l’histoire. Il est question d’amitié, de liberté, de trahison, de complexité des liens familiaux… mais aussi de démocratie, de mémoire, d’émancipation, de quête de vérité.

La dystopie n’est là que pour nous tendre un miroir et nous interpeller : au fond, ce serait quoi, un monde meilleur ?

Je n’ai pas la prétention de vouloir y répondre de façon claire et définitive. Pour moi, le rôle de l’art et de la littérature est de poser des questions, pour que chacun puisse cheminer, ensuite, en lui-même…

Comment l’idée de ce livre est-elle née ?

Je mûrissais depuis des semaines l’idée d’écrire un roman sur le monde du travail, sans réussir à trouver la porte d’entrée. Le déclic est venu en visionnant The Lobster, de Yorgos Lanthimos. Le film présente un monde absurde dans lequel les célibataires sont enfermés dans un hôtel et disposent de 45 jours pour trouver un partenaire, faute de quoi ils sont transformés en animaux. À ce moment-là, il m’a semblé évident qu’un parallèle avec le monde du travail pouvait être effectué. Trouver un travail(épanouissant) est un impératif social au même titre que trouver l’amour. Dans les bonus du DVD, le réalisateur expliquait qu’il avait simplement pris un élément de notre société (l’injonction à être en couple) et qu’il l’avait poussé à l’extrême. Cela a été mon principe directeur, autour duquel tout mon roman s’est construit.

Votre expérience professionnelle (ou personnelle) vous a-t-elle été utile pour la création de ce livre ? Y a-t-il un lien entre les personnages et votre vie ?

Oui, bien sûr.

J’exerce un métier qui est peut-être en dehors des contingences habituelles des entreprises (rentabilité, compétitivité), mais qui n’en a pas moins ses exigences, et dans lequel la question du sens donné au travail est prépondérante. Dans le domaine de la culture, les « métiers passion » sont légion, et on peut parfois tomber dans l’excès de tout donner pour la « cause ». C’est un phénomène qu’on retrouve aussi dans d’autres milieux, comme la santé, le secteur social… J’ai commencé à écrire ce livre après une expérience professionnelle douloureuse. C’était pour moi une façon de remonter la pente.

Les personnages ont tous un peu de moi en eux, mais aucun d’eux n’est mon reflet. Je me suis nourrie des vécus et expériences de mon entourage. Tout le monde a quelque chose à dire sur le travail.

Une suite à prévoir ?

Pas pour l’instant ! J’ai voulu écrire un roman qui se suffit à lui-même, même si la fin reste ouverte, et pourrait appeler à une suite… mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. Je préfère que le lecteur imagine sa propre suite.

À quel public s’adresse votre ouvrage ?

À toute personne qui aime plonger dans l’univers d’un livre, frémir avec ses personnages, se demander ce qu’elle ferait à leur place… et qui apprécie quand il y a une profondeur de champ, qui ouvre la réflexion.

Il n’est pas nécessaire d’être un amateur de science-fiction et de dystopie pour apprécier ce roman. Je crois vraiment que ce livre s’adresse à tout le monde, car tout le monde est amené à travailler, ou à faire des choix en lien avec le travail. Et tout le monde, me semble-t-il, cherche sa propre façon d’être heureux.

Peut-être que ce roman parlera plus particulièrement aux jeunes adultes, qui entrent dans la vie active et pour qui cette entrée peut occasionner des doutes, des remises en question, une perte de repères…

Quelles difficultés avez-vous rencontrées lors de l’écriture ?

Elles sont nombreuses, et différentes à chaque étape ! La première a été de construire une histoire, avec des personnages, à partir d’une idée qui était au départ très théorique. Je me suis plongée dans des livres de narratologie, j’ai analysé des livres, des films, pour comprendre comment ils étaient construits… et puis il ne fallait pas se « perdre » dans la construction d’un univers ! Dès qu’on commence à inventer les règles d’une nouvelle société, cela peut nous conduire très loin, au risque de ne jamais revenir à ce qui compte quand on lit un roman : s’attacher à des personnages, s’intéresser à ce qui leur arrive.

Et puis, il y a eu l’écriture du premier jet : passer de l’histoire « fantasmée » à la réalité des mots, alignés sur la page. Ce n’était pas toujours évident, mais j’ai aussi pris énormément de plaisir à m’enfermer dans ma bulle pendant 4 mois pour écrire. Enfin, j’ai passé quasiment deux ans à retravailler le texte, à réécrire parfois intégralement certains passages.

De manière générale, j’ai du mal à prendre des décisions… Un roman, c’est une multitude de décisions, qui à chaque fois ferment la porte d’une autre version possible. C’est presque une épreuve psychologique ! On ne le dit peut-être pas assez, mais écrire un roman, c’est un long cheminement.

Pensez-vous écrire d’autres livres ?

Bien entendu ! J’ai commencé à écrire un autre roman, dans un style assez différent. Il est toujours question de notre rapport au travail, mais traité sous un autre angle : contemporain, sensible et intimiste. Je n’en dis pas plus pour l’instant… 

Si vous deviez mettre en avant une phrase de votre livre, laquelle choisiriez-vous ?

« Ce que la société a fait, la société peut le défaire. Parce que rien n’est irrémédiable. »

Depuis qu’elles ont remplacé les États, les Entreprises sont les nouvelles garantes de la paix. Elles promettent santé, loisirs et bonheur à leurs collaborateurs, au moyen d’un contrat signé à la naissance.

Driss, 31 ans, ne vit que pour son travail. Récemment promu Responsable Bonheur au sein de sa Ville-Entreprise, il rêve de poursuivre son ascension sociale, pensant honorer la volonté de sa mère décédée. Mais l’arrivée dans son service de Valérie, une manager en proie au mal-être, vient bousculer ses croyances. Amené à reconsidérer le récit familial, le jeune homme démarre une enquête sur ses origines. Une enquête qui le mènera bien plus loin qu’il ne le pense, jusqu’à découvrir les rouages du système auquel il appartient…

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