Dispersées aux quatre vents, elles se sont échappées de nos journaux intimes. Pour la première fois, les membres du collectif parlent d’eux et de leurs créations à travers ces extraits dévoilés par des feuilles volantes.

Écrire un roman en (presque) trois mois

par Anatole | 25 Sep 2023

Écrire un roman en (presque) trois mois

par Anatole | Sep 25, 2023 | Migration - Feuilles Volantes

Le 23/03/2023
Bénodet

C’est la fin.

Je n’en finis pas de finir.

Je me rappelle ce jour de décembre 2021 où je m’étais fait la promesse d’écrire un projet court (pour une fois) et de le boucler avant mes 25 ans. Facile. En trois mois d’hiver, pendant que je profiterais de mon chômage, j’aurais le temps. Et j’en ferais un vlog, j’en ferais une vidéo face cam où je raconte la genèse et le déroulé de l’écriture de ce roman nouveau-né, ça ferait des centaines, des milliers de vues, carrière audiovisuelle Internet lancée, faites péter le champagne !

L’important, c’était que tout reste secret. Personne ne devait savoir, j’étais officiellement sur un autre projet, la surprise aurait pris tout le monde au dépourvu, que je suis facétieux ! Tu parles.

Ce projet qui devait prendre trois mois en est maintenant à un an et trois mois d’écriture, le vlog n’est plus au programme, et tout le monde est au courant. Vivre le reste de ma vie prend du temps. Alors, cette fois, j’ai pris cinq jours en bord de mer, au fin fond du Finistère, pour éclipser tout le reste, sur cette plage tourmentée, dans cet hôtel désert.

J’ai quatre jours pour écrire les trente pages qui me séparent de la dernière phrase. Aujourd’hui, j’ai 25 ans, j’ai échoué à tenir mes deadlines précédentes, et il semble que celle-ci ne fera pas exception. Mais pour l’instant, j’erre dans les rues sous le vent, et pars pour une odyssée nocturne à travers la ville.

 

J’ai franchi les portes des casinos et des boîtes de nuit, je suis allée d’un indice à l’autre, inébranlable, stoïque. Un homme à moustaches imposantes me redirigeait vers un gentleman que les rayons de lune dénudaient, et celui-là m’indiquait une troupe de danseuses enkystées dans des rideaux en velours écarlate. Je remontais la piste. De long en large, j’ai compté les quartiers et le nombre de lampadaires. Du haut du belvédère, j’ai court-circuité la ville et vu toutes les lumières s’éteindre au petit matin.

Le 25/03/2023
La mer s’agite

Le Club Secret des Court-Circuiteuses Astrales. Ça, c’est un sacré nom bizarre, peut-être même pas génial, peut-être que l’éditeur voudra le changer ; pas grave, je suis meilleur à nommer les chapitres que les volumes entiers. Et puis, peut-être qu’on le retiendra au moins, ce titre louche.
C’est une histoire de science-fiction, de voyage sur la première cité lunaire construite par l’Homme, de sororité peut-être, d’angoisses perpétuelles sans doute, et puis, de la recherche du vrai, du beau, du réel, et surtout de ce qui ne l’est pas.

Mais cette fin de livre est presque un second roman à l’intérieur du premier. Je la dédie à celles et ceux qui disparaissent sans laisser de traces. Qu’est devenue cette personne qui a coupé les ponts pour d’obscures raisons ? Qu’est devenu cet ami dont je n’ai entendu la moindre nouvelle depuis trois ans ?
Pourquoi doit-on disparaître ?
Pourquoi es-tu parti.e ? Est-ce que tout ce qu’on a vécu ensemble était assez insignifiant pour en arracher la page d’un coup d’un seul ?
Quel gâchis de moyens d’en faire des tonnes de pages avec des personnages fictifs pour évacuer ces choses qui ne passent pas avec des gens bien réels. Ce qui rend cette digestion quasi-impossible, c’est peut-être cette incertitude du définitif.

Alors, où es-tu passé, ami disparu ? Où es-tu partie, confidente oubliée ?

La mer est furieuse aujourd’hui, elle se fait obstacle insurmontable entre eux et moi. La pluie et le vent interdisent tout accès à la plage. J’achète L’Étranger de Camus dans une bouquinerie parce que je ne l’ai toujours pas lu. On sera loin du déluge émotionnel dans lequel j’ai plongé pour ces ultimes chapitres.

 

Je me livre aux vagues. Elles s’entassent et s’étagent pêle-mêle, ses crocs grand ouverts et qui s’entre-dévorent. L’eau loqueteuse, déguenillée, s’ouvre et se recrache, l’océan se vomit lui-même avec toute sa bile et sa noirceur, son écume sort de la bouche d’un diable des profondeurs suicidé au cyanure, et ma tête boueuse lutte contre la démence de l’Atlantique, ballottée par les flots, malmenée par le souffle hideux de l’orage.

Le 27/03/2023
De retour ailleurs

C’est pas que j’ai foiré. J’aurais pu la respecter, cette deadline, j’aurais pu m’y tenir, à cet objectif d’en finir tant que j’étais dans mon hôtel. J’y étais presque, même. Mais à aller trop vite, on en rate l’essentiel.

Je suis reparti ce matin, mes petites photos de voyage bien enregistrées dans ma carte SD, mais il me manque toujours bon nombre de pages avant de placer mon point final. Il me faut un détour de plus. J’ai envie de développer davantage, rallonger ce qui est trop court, transformer l’anecdotique en incontournable.
Quand on dresse le squelette d’un projet, on ignore parfois comment relier deux scènes-clef. J’aimerais que cet intermédiaire obligatoire entre les deux puisse devenir meilleur qu’elles. Alors j’ai besoin de plus de temps, de réflexion, de maturité, rajouter une dizaine/quinzaine de pages pour que tout soit parfait.

Alors je retourne à l’éternel foyer, je retourne aux idées qui ont donné naissance à ce projet, je retourne à la moelle de ce que doit être ce roman, pour me déperdre et me dégarer. Il faut savoir qu’en parallèle, j’écris un dictionnaire/supplément à la langue française avec des amis, sorte de jeu sur les préfixes et suffixes des mots pour rajouter de nouveaux termes sémantiquement acceptables. Et j’en ai fichu partout dans ce roman.
Ça aussi, j’aurais pu l’oublier, si je ne prenais pas ce temps supplémentaire pour retrouver ce qui était jusqu’ici perdu.
Je n’ai pas fini ce roman aujourd’hui, mais c’était uniquement parce que je le voulais bien. Tout rentre dans l’ordre. Adieu la mer.

 

La Lune, après ses mois d’absence, reparaît rouge, pleine et obèse derrière un halo de nuages. J’esquive son rayonnement et me réfugie sous ma couette en gloussant comme une possédée. C’est bien la dernière nuit que je passe sur cette île. Ne reste plus qu’à m’endormir comme un bébé, et demain, adieu cet hôtel de nazes, au revoir la décimer et ses décivagues qui se décervellent par dizaines sur la plage.

Le 11/04/2023
Au terme de l’été

C’est le début.
J’en finis pas de commencer.
Les trains circulent dans la campagne, la nature verdit, et les vertiges derrière moi disparaissent. J’ai comme vécu l’été et mûri de quelques années d’une traite.
Et tout recommence.

Aujourd’hui, j’ai fini le détour et regagné ma place, au terme de mon roman. Ne reste qu’à attendre des retours de personnes de confiance, retaper ce qui doit l’être, et roulez jeunesse. Je n’ai peut-être pas fini pour mes 25 ans cette potentielle première publication, mais je crois que je peux enfin les avoir, ces 25 ans. C’est comme si j’avais arrêté de vivre pendant toute la réalisation de ce projet, et que je vivais mon anniversaire pour de bon enfin aujourd’hui.

Comme si j’étais parvenu au terme des grandes vacances et que je m’apprêtais à faire ma rentrée, à me remettre sur un autre projet moins zodiacal et occulte…
Peut-être que je suis enfin l’adulte que je devais devenir, en accomplissant ce genre d’exploit qui signifie tout pour moi. Enfin, j’ai juste 25 ans.

J’ai 25 ans et les trains filent sous un ciel que j’ai remodelé pour que les étoiles aient des oreilles et la Lune quelques paires d’yeux indiscrets.
Toujours l’été se soustrait à ma vue. Toujours il m’échappe.
La prochaine fois, je ne le manquerai pas.

 

L’occulte a parlé : je serai une aurortographe. Et ainsi, avant que le matin ne se lève, déjà debout, je me transfigure en une constellation enfin complète, qui déambule entre les fils électriques et les feux rouges d’un Londres où tous les panneaux publicitaires de Piccadilly Circus diffusent le film amateur d’une comète survolant la Terre.

Un été jaune de plus me coule entre les doigts.

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