Deux ans plus tard… voir son premier roman publié
Février 2023
L’annonce
J’aurais presque pu passer à côté. Quand on attend quelque chose depuis longtemps, on finit par ne plus l’attendre.
Je me revois encore raconter partout que ce n’est pas si grave, si ce roman n’est pas publié. Que ce qui compte, c’est de continuer à écrire. Je m’étais fait une raison, je crois. Après deux ans de recherche… il était temps de passer à autre chose.
Et puis il y a eu ce jour de janvier. Un jour rempli de travail et de préoccupations. J’aurais pu ne pas voir le mail. Le tout petit mail qui me demandait si ma proposition d’ouvrage était toujours d’actualité. Le tout petit mail qui m’invitait à envoyer le manuscrit intégral, pour étude approfondie.
Je l’ai fait sans même y penser. Comme on accomplit une tâche dans sa to-do list. Après deux ans, on ne s’enthousiasme plus pour un mail. On en a vu d’autres.
C’est là qu’elle est arrivée, dès le lendemain. L’annonce. « Dans l’idée de vous éditer, il faudrait convenir d’un rendez-vous téléphonique. »
J’ai relu la phrase, trois fois, et j’ai rangé mon téléphone, histoire de remettre le cataclysme de cette nouvelle à plus tard – car décidément, ce jour-là, je n’avais pas le temps.
La semaine suivante, c’est encore avec un air de ne pas y croire que j’ai décroché mon téléphone. « Prenez de quoi noter », m’avait-il dit. Ça m’a scotchée à mon siège.
J’ai noté, noté. Je l’ai écouté me parler de contrat d’édition, de jeu d’épreuves, de couverture, de promotion, de dédicaces. J’ai tout noté, et dans ma tête je me disais : « C’est en train d’arriver ». C’était comme regarder sa vie à travers un écran. Ce n’est pas réellement en train d’arriver ?
Même après avoir raccroché, je suis restée interdite un long moment. « Attend de voir le contrat », me susurrait mon mécanisme de défense, bien rodé depuis deux ans.
Je m’étais tellement figuré le moment de « l’annonce », avec ses attendus et ses passages obligés, que je suis presque passée à côté.
Ce moment a duré plusieurs jours, en réalité. Jusqu’à la signature du contrat, dans les locaux mêmes de l’éditeur. Là, enfin, mes derniers remparts ont cédé. Une joie pleine et entière m’a envahie.
C’était arrivé.
Mars 2023
Épreuves
Il a fallu relire le manuscrit.
Replonger dans un texte que je n’avais pas touché depuis deux ans. Au début, un peu d’appréhension. Et si je n’étais plus en adéquation avec lui ? Pire que ça : et si j’en avais honte ?
J’avais gardé le souvenir d’un texte imparfait, que j’avais fini par lâcher, épuisée par une longue phase de réécriture. Je me disais : « De toute façon, si un éditeur l’accepte, il y aura des retouches. »
Nous en étions là. J’avais toute liberté dans mes retouches. De quoi me rassurer et m’effrayer en même temps… car je connaissais la bête : j’étais capable de vouloir tout changer.
Mais comme souvent, le temps a été mon meilleur allié. C’est avec un œil neuf que j’ai redécouvert mon texte. Je me suis laissée happer par mes propres mots, par des passages que j’avais oubliés, par les rebondissements de l’intrigue.
J’ai ressenti un mélange d’incrédulité et de fierté. C’est moi qui ai écrit ça ? Des failles, je n’en voyais plus tant que ça. Franchement, ça tenait la route. Et même plus que ça. Je prenais enfin la mesure de tout le travail que j’avais accompli.
J’ai néanmoins listé ce que j’avais envie d’améliorer. Principalement des points pour approfondir l’univers. Des fragments de phrase à glisser ci ou là, pour davantage « donner à voir ».
Contre toute attente, c’était plaisant. L’impression d’apporter le coup de pinceau final, que je serais la seule à distinguer. J’aurais pu faire ça longtemps, mais j’avais une deadline. Lundi 6 mars. Légère panique. J’ai pris conscience de l’aspect « définitif » du mot, qui n’a pas vraiment d’équivalent en français : après cette date, le texte serait figé. Pas mort, mais immuable.
Vertige de la dernière relecture, engagée dans un drôle de contre-la-montre.
Heureusement, je le savais, j’avais une dernière soupape de sécurité : les épreuves papier.
Mon correcteur attitré, ce cher Anatole Williame (contactez-le pour ses services !), ne laisserait rien passer (ou presque), aucune coquille, aucune erreur de syntaxe, aucun tiret mal placé. Et si vraiment il y avait une phrase qui me sautait aux yeux à la relecture des épreuves… Eh bien, elles étaient là pour ça.
Mars – Avril 2023
La mue
En parallèle de la finalisation du texte, je devais opérer ma mue. J’allais devenir une auteure. Une auteure publiée.
Auteure ou autrice, d’ailleurs ? J’ai fini par trancher : auteure. Même si j’admire celles qui se revendiquent autrices, je ne me sentais pas de devoir expliquer un mot en cours de normalisation. J’avais déjà suffisamment à faire avec mon propre sentiment de légitimité…
La première épreuve (la plus dure ?) a été d’aller chez le photographe. Je savais que la photo atterrirait en quatrième de couverture. Tirée à des centaines d’exemplaires. C’est dire si j’étais terrorisée à l’idée d’avoir une sale tête.
On a beau dire, « c’est le texte qui importe », on ne va pas se mentir : l’image de l’auteur, ça compte. L’éditeur me l’avait dit : la moitié des livres que vous vendrez le seront grâce à leur contenu, et l’autre, grâce à vous. Bon, OK.
Au-delà de la photo, j’ai été amenée à préparer les à-côtés. Et notamment écrire les textes présents en quatrième de couverture : le sacro-saint « résumé » (angoisse) et la « bio » de l’auteure (double-angoisse).
L’exercice est inconfortable, mais formateur. Au moins, ça m’a mis dans la position de devoir présenter mon roman, ce qui, nécessairement, allait arriver par la suite.
Petit à petit, la mue a opéré.
Elle passe par des actes, bien plus que par des pensées.
Recevoir les épreuves, les corriger, les faire corriger, réfléchir à la couverture, choisir la couverture, compléter un dossier de presse (et donc me remémorer mes intentions – qu’ai-je voulu faire avec ce roman ?), acheter un nom de domaine, transformer un blog en site d’auteure…
Fin avril, j’étais prête.
Fébrile, mais prête. Le livre pouvait sortir.
Mai – Juin 2023
L’éclosion
Je ne connaissais pas le jour exact de la sortie. L’éditeur m’avait dit : « Une fois que le livre est référencé, on y va. » Autrement dit : on balance l’info.
Le feu vert a été donné le vendredi 28 avril. Le hasard a voulu que je sois en congés à ce moment-là. J’étais dans les starting blocks depuis plusieurs jours, j’avais reçu mes exemplaires d’auteur, je trépignais d’impatience.
Très vite, la pluie de messages et de félicitations.
D’un coup, ce qui m’occupait depuis plusieurs années – l’écriture – est devenu concret aux yeux de mon entourage. Un roman publié, ça impressionne. Ça fait passer de la case « écrivaillon en robe de chambre » à « écrivain », et peu importe si on ne se reconnaît pas soi-même dans ce terme (qu’on vénère sûrement un peu trop).
C’est curieux, car de mon côté j’avais l’impression de passer la ligne d’arrivée, de toucher le but d’un long parcours. Et parallèlement, c’était un début. Le début de l’existence du livre. Avec, en guise de piste d’envol, ma première participation à un Salon du Livre.
Le rendez-vous était pris : samedi 13 mai, à Narbonne. C’est-à-dire quinze jours après la sortie du livre, dans la ville où j’habite.
Ça a été fou. Du monde partout, l’épuisement du stock amené par l’éditeur, la venue surprise d’amis toulousains, une mention dans la presse… et moi, abasourdie, galvanisée, reconnaissante.
Au départ, je n’osais pas espérer grand-chose de la sortie de ce roman. Quand j’ai su qu’il allait être publié, je me suis dit que tout ce qui arriverait ensuite, ce serait du bonus. Bien sûr, j’avais envie de défendre mon texte, mais je ne voulais pas trop en attendre. Ne pas risquer d’être déçue, alors que c’était déjà une réussite en soi.
J’ai été cueillie par le succès de ce lancement (succès relatif, on s’entend). Par les premières impressions de lecture, qui ont commencé à arriver dès la semaine suivante. Par les dates de dédicaces qui se sont ajoutées, par l’annonce d’un premier retirage…
Je ne suis pas sûre d’avoir tout à fait atterri, encore. Je ne suis pas sûre d’avoir envie d’atterrir. J’écris ces mots le 23 juin et je n’ai qu’une seule chose à dire : merci.
Le contrat sans fin, premier roman de Juliette Kerjean, est paru en mai 2023 aux Presses Littéraires.
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