Un premier recueil de poésie… publié
Octobre 2021
Les nuages s’amoncellent
Sur la place Saint-Sulpice, le marché de la poésie bat son plein. Et moi, le jeune poète de province, je fais face à mon potentiel éditeur : David Giannoni, poète et conteur de renom. Ce sont des mots hésitants qui sortent de ma bouche, des mots de novice, des mots qui n’ont pas l’habitude de se présenter eux-même. Mon interlocuteur m’écoute silencieusement. Je suis debout et lui assis comme un maître d’école qui écoute la gauche récitation d’un élève. Combien de fois a-t-il vécu cette scène ?
« Quarante pages, finit-il par me concéder, quarante pages en janvier et nous aviserons. » J’accepte sans me faire prier, le remercie aussi chaleureusement qu’il m’est permis de le faire et lui assure que tout est déjà pratiquement prêt. J’oublie volontairement de lui mentionner que j’ai à trier deux recueils de poèmes complets et cohérents, d’environ cent pages chacun. Il faut pourtant les faire accoucher d’un seul ouvrage de quarante pages. C’est ma seule chance.
De retour chez moi, je fais appel à Théophile, mon compère de toujours, pour m’assister dans cette délicate opération. Pour l’occasion, j’ai grand besoin d’un point de vue extérieur et si possible affûté (ce qu’il possède). Au bout de deux heures, nous parvenons à retenir une cinquantaine de pages.
Les jours suivants, je termine le travail en ôtant les dernières couches de gras et en architecturant l’ensemble pour en faire un recueil digne de ce nom. Je réutilise pour l’occasion un titre que j’avais donné à mon premier Vol Plané : « Songes habitables » ; d’une part car les trois poèmes de cette publication se trouvent dans le livre, d’autre part car il fait écho à la progression thématique des poèmes : de la révolte à l’onirisme.
En somme, œuvrer à ce que nos réalités deviennent des songes habitables. Il ne me restait plus qu’à envoyer le mien à l’éditeur comme une bouteille dans une mer déchaînée.
Avril 2022
Le choc des marées
Ce soir, un trésor m’attend dans ma boîte mail. L’éditeur a finalement lu mon manuscrit et le trouve à sa convenance. Mon premier recueil sera donc publié aux éditions Maelström, dans le modeste format « bookleg ».
D’un prix minime, ce dernier se présente avant tout comme une carte de visite qui accompagne son auteur lors de ses mises en voix. Il se veut avant tout être un livre qu’on fait vivre sur scène. La chose me convient parfaitement : je ne peux imaginer qu’un texte que j’écris demeure dans le silence. J’aspire à habiter les mots, que ceux-ci aient un impact sémantique et sonore complémentaires. Peut-être un fossile de mon passé de comédien.
L’éditeur, en plus de me demander quelques documents photo et écrits supplémentaires pour mon dossier, me propose de venir assister au fameux FiEstival, festival de poésie contemporaine que Maelström organise tous les ans à Bruxelles. Ainsi, je m’acclimaterai à ce qui sera attendu de moi là-bas et pourrai rencontrer leurs équipes et leurs poètes.
Je m’y rends le mois suivant et ne suis nullement déçu du voyage. Les deux seules journées auxquelles j’assiste me remplissent les yeux et les oreilles d’étoiles. La qualité et la variété des propositions sont plus qu’exemplaires. Chaque intervenant ou intervenante transmet son idée de la poésie avec brio. Et pendant ces deux petits jours, je me sens enfin à ma place, moi que le travail avait tant aliéné depuis quelques temps. Je repars le sac à dos rempli de livres et d’espoir. C’est ici une renaissance, l’espérance d’une terre ferme.
Mai 2023
Au pied du gouffre
Quelques mois ont passé. Je patiente sagement, lis, écris, guette avec anxiété ma boîte mail. La publication a entre temps été reportée. J’en viens à broyer du noir et me vois déjà partager le destin d’un Lucien des Illusions perdues. Mais, alors que je songeais à relancer timidement l’éditeur, un mail d’un certain Jérémie Tholomé m’informe que le début du travail éditorial sur mon recueil a commencé. Jointe au mail, une première version de la mise en page et de la couverture. Je me jette sur ce premier essai.
Quelques corrections et ajustements sont rapidement effectuées : une image trop petite sur la première de couverture, un vers qui déborde sur la page suivante, un titre qui n’en est pas un, etc… L’objet prend forme progressivement, ainsi que le rêve. Durant nos échanges, je suis agréablement surpris d’apprendre que mes poèmes ont plu à Jérémie et qu’il a hâte de me rencontrer. Il est vrai qu’on a tendance à oublier que les éditeurs sont aussi des lecteurs avec une sensibilité.
En me renseignant un peu sur lui, je me rends compte que je l’ai déjà croisé l’année précédente au FiEstival. Sa performance sur la Beat generation avec sa camarde Ada Mondès (dont j’avais eu l’occasion de lire le bookleg) m’avait particulièrement frappé par sa justesse et son ambiance. Je suis donc fier que mon livre ait été mis en forme par un auteur dont j’admire le travail.
Viennent ensuite les corrections orthotypographiques. Deux correctrices s’en sont impeccablement chargées. On sous-estime grandement l’aveuglement dont on peut faire preuve pour notre propre travail : le nombre de fautes relevées, sans pour autant donner de quoi rougir, m’a donné l’impression que mes dizaines de relectures n’ont servi à rien.
En plus de leurs corrections, elles ont pris le temps de faire quelques remarques et n’ont pas hésité à souligner des vers qui leur plaisaient. J’en suis plus qu’honoré. Le livre est maintenant prêt, il prend le large vers l’imprimerie. Pour ma part, je n’ai plus qu’à plonger dans le grand bain.
Juin 2023
Dans la gueule du maleström
Vendredi. Le FiEstival bat son plein. En ce début de soirée, je contemple depuis l’encadrement de la boutique la Chaussée de Wavre inondée de sièges, de tables et de gens venus assister au récital. Au programme, une dizaine de poètes, slameurs et chanteurs confirmés. Et parmi ces noms connus du public, le mien que je ne croyais jamais voir un jour inscrit.
Dix minutes, c’est tout ce à quoi j’ai droit pour convaincre l’audience. Dix minutes dans lesquelles j’ai pesé le poids de chaque poème. Dix minutes pour tout donner. Pendant que je m’échauffe dans l’arrière-cour, je repense à cette folle aventure qui m’a mené ici, aux heures dans le train, à la place Saint-Sulpice où j’ai pu tenir pour la première fois un exemplaire de mon recueil, aux moments partagés avec l’équipe de Maelström, au FiEstival, à l’attente de cet instant précis où tout doit se jouer. J’en ai presque le mal de mer.
Les premières performances s’enchaînent. Je suis assis auprès de Chiara Mulas et Serge Pey, eux deux qui ont assisté à quelques-uns de mes premiers balbutiements poétiques à Toulouse, eux qui assistent désormais à mes premiers instants de poète publié. David Giannoni, en maître de cérémonie, annonce mon nom. En un instant, je me tiens debout face au micro, face à la foule.
Je prends une calme inspiration, puis me déchaîne. Je deviens une part de la tempête, du tourbillon. Je comprends enfin pourquoi Maelström porte ce nom. Mon récital terminé, je me contente, après avoir émergé des vagues qui m’habitaient, d’un simple « merci ». David en profite rappeler la sortie de mon bookleg que j’avais totalement oublié de mentionner. Kev La Raj, un des grands slameurs de Maelström, en tient d’ailleurs un dans la main et le lève pour que tout le monde le voie. Une pluie d’applaudissements.
Par la suite, nombre de personnes viennent me voir pour me féliciter, me demander une dédicace et me questionner un peu sur qui je suis et d’où je viens. Je les remercie chaleureusement et me contente de répondre : « Je suis Théo Plantefol. Je viens de Toulouse et je suis poète. »
Songes habitables, le premier recueil de poésie de Théo Plantefol, est paru en juin 2023 aux éditions Maëlstrom.
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