Franchement

par Perrine | 28 Nov 2021

D’accord, j’ai peut-être fait une connerie. C’était peut-être un peu excessif de leur dire d’aller se faire mettre. D’autant que je dis pas ça au sens littéral, hein, ça me regarde pas ce qu’ils font de ce côté-là. Non, ce que je voulais leur dire, c’est que… c’est que je les emmerde, en fait. Ah, voilà, j’aurais plutôt dû dire ça.
Fallait bien leur dire, quand même. Fallait que quelqu’un le fasse. Vous auriez pas osé, vous.
On a déjà essayé de les brosser dans le sens du poil, vous savez, mais ça rentre par une oreille, « oui oui », et ça sort par l’autre.
Au moins maintenant les choses sont claires.
Oui, bon, je le reconnais, nos relations avec eux vont peut-être se compliquer un peu.
Mais faut qu’ils apprennent qu’on peut pas les livrer comme ça à la minute. On a du boulot nous aussi.
Ils s’imaginent quoi, qu’on passe toute la journée à attendre leur coup de fil, et qu’après on est trop contents parce qu’on a enfin quelque chose à faire ?
Ces gens-là, vous savez, ils croient que tout leur est dû. Ils pensent que le monde tourne autour d’eux et que s’ils demandent rien à personne, personne fait rien. Par exemple, si tu les écoutes, enfin si vous les écoutez, c’est une façon de parler, bref, si tu les écoutes, il faut que tu prépares leur commande tout de suite même si tu as d’autres clients qui ont commandé avant. Eux quand tu leur dis « le client est roi » ils doivent se dire que de toute façon il peut y avoir qu’un seul roi. Et je te dis pas quand… enfin, je vous dis pas quand on leur dit qu’il va falloir attendre, le cinéma qu’ils font, on perd un temps fou à les écouter se plaindre et finalement c’est plus rapide de leur faire croire qu’on va s’en occuper tout de suite. Bon, moi j’avais bien pensé à leur raccrocher au nez tout simplement mais les autres ont pas voulu. Mais faut pas se laisser faire non plus, à force de vouloir tout faire comme il faut ils perdent leur temps, les collègues, je leur ai dit moi, faut savoir transgresser un peu les règles parce que sinon on n’avance pas.
Ah oui, quand même. Carrément. Ils font pas les choses à moitié eux.
Oui, bon, j’ai pas pensé qu’ils se vexeraient pour si peu. Ils sont susceptibles quand même non ?
Mais, eh, ils se priveront de nos produits et nous, on aura la paix, alors franchement, c’est eux les perdants.
Moi aussi ?
Ah. Oui.
J’y avais pas pensé à ça non plus.
Oui, bon.
Mais vous savez, là c’est vous qui allez y perdre. Je vous le disais, moi je sais prendre des initiatives pour qu’on perde pas de temps. Et le temps, c’est de l’argent, hein ?
Moi, ça ira de ce côté-là, un boulot de merde comme ça j’en trouverai bien un autre, un de ces attrape-pigeons, et ils seront bien contents de dégoter une perle rare comme moi.
Attendez, je comprends pas. Faut savoir ce que vous voulez. Moi, honnêtement, ça me dérange pas de rester.
Vous allez me ? Recommander ? Ah bah c’est gentil ça, vous me virez mais quand même vous m’abandonnez pas, c’est pour vous donner bonne conscience c’est ça ?
Chez ?
Mais…
Mais vous pouvez pas les blairer ! Et puis, pour moi, ce serait comme trahir ! Pas que je tienne à cette entreprise, mais là, ce serait se foutre de votre gueule.
Votre bouche. Votre tête. Enfin comme vous voulez.
Vous faites des cadeaux comme ça d’un coup, quand ça vous prend ? Faut pas faire ça, je vous le dis, après on se fait bouffer.
Et donc je dois leur dire que je voulais partir de chez vous pour aller chez eux, et que vous avez essayé de me retenir mais que j’ai rien voulu entendre ?
Vous inversez les rôles, vous êtes un malin vous, hein ?
Et donc vous avez daigné me recommander auprès d’eux parce que vous ne pouvez pas nier mes compétences, oui oui, j’ai compris.
Quand même, des fois, je me demande si vous vous foutriez pas un tout petit peu de ma gueule.
Ma bouche. Ma tête.

2 Commentaires

  1. Juliette

    Je découvre seulement ton texte : j’ai bien ri, merci pour ce bon moment de lecture !

    Bravo pour la petite satire du monde du travail, comme tu peux t’en douter, ça me parle 😉 Et je dis ça en toute sincérité, sans me foutre de ta gueule. Heu pardon, ta bouche. Ta tête.

    Réponse
    • Perrine

      Merci beaucoup Juliette ! Je suis touchée que mon texte t’ait parlé, sachant que tu as beaucoup travaillé, justement, sur le monde du travail dans tes écrits… 😉
      Ton commentaire m’a bien fait rire, merci !

      Réponse

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