
Un mangeur de mondes a repéré notre planète. Le grand personnage se croit si puissant qu’il peut la gober, qu’il peut l’avaler en entier. Il la toise au creux de sa main, la fait rouler dans sa paume en retroussant ses babines dans un bruit de succion. Il la tend entre ses doigts de géant, frottant sa panse. Depuis combien de temps déjà, n’avait-il pas dégusté une Vivante ? Il l’enfonce entre ses lèvres, salive.
Posé sur le bout de la langue, tanguant, paralysé par la contemplation de l’annihilation, le monde vacille. Mais il n’a pas encore tout oublié, il a des milliers de têtes, des milliers d’êtres qui lui chuchotent de lutter. Se refusant à disparaître englouti, le monde se révolte. De toutes ses forces, il se tend, repousse les continents, craquèle sa croûte, rapproche ses deux pôles jusqu’à ce qu’une immense crevasse le scinde sur plus de la moitié de sa circonférence ; de cette plaie s’échappe sa lave bouillante. La langue de l’avide glouton brûle. Il le recrache violemment. Alors, le monde tombe.
De Très-Haut, le monde tombe vers le sol de l’univers, vers la ligne originelle. Il voit passer le menton, puis le torse de son agresseur, puis son ventre sur lesquels il fait un petit bond, ensuite les cuisses, les genoux, les chevilles. Le sol est là, si proche. Le monde ne ralentit pas sa chute, il pense, peut-être il pense, mieux vaut finir écrasé de son propre gré qu’englouti par ce monstre. Il s’élance vers le choc final, il se ratatine, serre ses plaques tectoniques, prend de grosses respirations, on entend des cris, des cris déchirants qui viennent de milliers de voix, de son chœur à lui, multiples, unanimes pour une fois, un chœur qui chante à l’unisson, jamais entendu jusqu’alors, ça résonne, ça tremble, tout le monde sait, toutes les choses scrutent la fin, la masse du monde tressaille et chuchote des cris d’amour avant que plus rien ne puisse plus jamais être dit, à tout jamais, on n’imagine pas le silence, on se plonge dans le moment présent pour ne plus jamais le lâcher, le monde se rapproche, la ligne originelle est bientôt là, plus que quelques maigres temps encore, plus que la distance qui sépare deux créations attirées violemment l’une contre l’autre, une passion brutale qui n’a même pas pu être considérée, un aimant sans raison, on crie, on gueule du feu, on s’arrache les cordes vocales, oiseaux, bigorneaux, rats, présidentes, dictateurs, amants, nouveau-nés, tous d’un même cri, d’un même élan vers la vie qui se précipite, vers sa perte, tous, on veut retenir, rocher, flaque, chêne vert, frêne, orchidée, tous tendus, crachant tout l’oxygène concevable, inconcevable, fleuve, mer, océan, rugissent de toutes leurs gouttes, dioxygène, diazote, méthane, vapeur d’eau s’engouffrent dans tous les corps, les êtres, les existants et en ressortent fièrement, vibrant, oscillant dans l’atmosphère, dansant jusqu’aux nuages, jusqu’ailleurs, jusqu’à l’arrêt du temps,
Le plaisir de découvrir ton texte maintenant, une fois publié sur le site : très beau texte, Noémie ! Il donne envie d’être lu à voix haute 🙂