Chute libre

par Noémie | 10 Déc 2022

roitelet huppé

Un mangeur de mondes a repéré notre planète. Le grand personnage se croit si puissant qu’il peut la gober, qu’il peut l’avaler en entier. Il la toise au creux de sa main, la fait rouler dans sa paume en retroussant ses babines dans un bruit de succion. Il la tend entre ses doigts de géant, frottant sa panse. Depuis combien de temps déjà, n’avait-il pas dégusté une Vivante ? Il l’enfonce entre ses lèvres, salive.

Posé sur le bout de la langue, tanguant, paralysé par la contemplation de l’annihilation, le monde vacille. Mais il n’a pas encore tout oublié, il a des milliers de têtes, des milliers d’êtres qui lui chuchotent de lutter. Se refusant à disparaître englouti, le monde se révolte. De toutes ses forces, il se tend, repousse les continents, craquèle sa croûte, rapproche ses deux pôles jusqu’à ce qu’une immense crevasse le scinde sur plus de la moitié de sa circonférence ; de cette plaie s’échappe sa lave bouillante. La langue de l’avide glouton brûle. Il le recrache violemment. Alors, le monde tombe.

De Très-Haut, le monde tombe vers le sol de l’univers, vers la ligne originelle. Il voit passer le menton, puis le torse de son agresseur, puis son ventre sur lesquels il fait un petit bond, ensuite les cuisses, les genoux, les chevilles. Le sol est là, si proche. Le monde ne ralentit pas sa chute, il pense, peut-être il pense, mieux vaut finir écrasé de son propre gré qu’englouti par ce monstre. Il s’élance vers le choc final, il se ratatine, serre ses plaques tectoniques, prend de grosses respirations, on entend des cris, des cris déchirants qui viennent de milliers de voix, de son chœur à lui, multiples, unanimes pour une fois, un chœur qui chante à l’unisson, jamais entendu jusqu’alors, ça résonne, ça tremble, tout le monde sait, toutes les choses scrutent la fin, la masse du monde tressaille et chuchote des cris d’amour avant que plus rien ne puisse plus jamais être dit, à tout jamais, on n’imagine pas le silence, on se plonge dans le moment présent pour ne plus jamais le lâcher, le monde se rapproche, la ligne originelle est bientôt là, plus que quelques maigres temps encore, plus que la distance qui sépare deux créations attirées violemment l’une contre l’autre, une passion brutale qui n’a même pas pu être considérée, un aimant sans raison, on crie, on gueule du feu, on s’arrache les cordes vocales, oiseaux, bigorneaux, rats, présidentes, dictateurs, amants, nouveau-nés, tous d’un même cri, d’un même élan vers la vie qui se précipite, vers sa perte, tous, on veut retenir, rocher, flaque, chêne vert, frêne, orchidée, tous tendus, crachant tout l’oxygène concevable, inconcevable, fleuve, mer, océan, rugissent de toutes leurs gouttes, dioxygène, diazote, méthane, vapeur d’eau s’engouffrent dans tous les corps, les êtres, les existants et en ressortent fièrement, vibrant, oscillant dans l’atmosphère, dansant jusqu’aux nuages, jusqu’ailleurs, jusqu’à l’arrêt du temps,

1 Commentaire

  1. Juliette

    Le plaisir de découvrir ton texte maintenant, une fois publié sur le site : très beau texte, Noémie ! Il donne envie d’être lu à voix haute 🙂

    Réponse

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Vols planés #3

2024-2025

Deuil de l’étymologie

D’où vient-il, le tout premier mot ?
Pour sa carte blanche, Théo explore les contrées de la poésie orale, et nous emmène sur les traces de l’origine des mots.
Un texte à lire… et à écouter.

Compter les heures

Je suis passée devant par hasard. Et je me suis arrêtée. Je me retrouve plantée sur le trottoir, à fixer le bâtiment. J’essaie peut-être de ressentir quelque chose.

Vols planés #2

2022-2023

En suspens

« J’ai voulu t’empêcher de dire quelque chose d’irréversible. Je crois que par-dessus tout je ne voulais pas l’entendre. Pour ne pas avoir à te répondre, à te faire remarquer que ton propos était déplacé, que je ne pouvais pas l’accepter. Pour que ne résonne pas dans la pièce une idée que, d’emblée, je refusais. »

Aux origines de la révolution

« Peut-être qu’un jour, on osera mettre un mot sur ce qu’il s’est passé.
On y repensera, on se demandera comment ça a émergé, oui, comment déjà ? Il y avait Kériel, bien sûr, mais avant ? Et alors, on se souviendra d’elle. La petite bête. »

Pour que l’aube advienne

« Nous pensions encore la veille être en zone libre. Mais c’était un matin de novembre 1942, et les allemands venaient d’entrer à Saint-Cirq-Lapopie. »

Tout Se Mélange

Pour le dernier Vol plané avant la pause estivale, Séraphin propose un morceau à écouter, les yeux clos, un soir d’orage ou un après-midi caniculaire. « Que faisais-tu hier, quand la terre est tombée ? »

Classé sans suite

« Ça peut s’effacer comme ça, ces moments ? De la poudre d’étoiles au ciel et son bras nu… De la poudre aux yeux ? »


Ça recommence.

« Le piège à ours s’est refermé sur toi d’un coup, clac. Tu ne savais même pas que tu étais perdue dans la forêt ; tu ne savais même pas que tu devais faire attention. »

Guerres

Trois poèmes pour confronter notre humanité et les actes de guerre qui se perpétuent malgré tout.

Grenouille

« Tu es là, ma petite grenouille, avec tes cuisses et ton gros ventre, des petits yeux que tu peines à ouvrir. »

Vols planés #1

2021

Franchement

Perrine signe son premier vol plané, sans aucun doute outragé, mais qu’y voulez-vous, c’est un drôle de monde !

Nuits blanches

Anatole signe son premier poème ici, en hommage à un regretté auteur qui, à ses yeux, a changé le visage de la nuit.

Vous écrivez ?

« Rhétorique, la question constitue pour Jean une réplique usitée des scènes de la vie sociale, car l’affaire, à son grand désarroi, a fait le tour de son cercle d’amis : il écrit un roman. »

Grain

Pour sa première carte blanche,
Juliette a choisi d’explorer les contrées de la poésie orale
et de jouer avec les rythmes, les sonorités, les sens.
Un voyage audio et musical dans l’infiniment petit…

Les choses de peu d’importance

À l’occasion de son Vol Plané, Wanda déploie une liste des “choses de peu d’importance”. Ces choses futiles au premier regard, qui remplissent pourtant nos vies et nous manquent lorsque nous restons confiné·e·s dans nos intérieurs.

Jack

Les créatures de l’hiver vous accueillent chaleureusement entre rêve et réalité, dans le désordre des saisons, pour vous inciter à participer à leur vol plané.

Derrière tes mots

Passant des néons à la flamme d’un briquet, comme du néant à l’inspiration, Noémie révèle ici, de manière étrange et miraculeuse, ce qui sommeille en nous, chaque jour et chaque nuit… et attention, ça vit !

Engagement

Dans ce poème déclamatoire, Séraphin explore les versants du mot « Engagement », à une époque où se côtoient engagement des corps et désengagement des cœurs.

Songes habitables

Trois poèmes rédigés par Théo et dédiés à trois personnalités artistiques qui l’ont marqué par leurs œuvres.