Un son
vieux comme
le vent
est tombé des bouches
comme une dent de lait

Qu’est-ce que
c’est que ce tout
petit mot grand
comme un caillou
sous la chaussure
qu’est-ce que
c’est que ce mot
qui s’est
décomposé
à force d’usage
qui a rendu
toute sa matière
au jardin dans lequel
on marche encore
qu’est-ce que
c’est que
le premier mot

En parlant
on marche encore
sur le
le mot qui
fait semblant de dormir
sous la langue
on marche encore
en parlant
sur le premier mot qui précède tous les autres

Au début
on l’a mis en terre
le mot
on a planté
ses voyelles dans
notre jardin
on a dressé ses
consonnes comme
des tuteurs
on l’a arrosé de
salive
et de vocables
qui lui ressemblaient
et il a poussé poussé poussé
le mot graine
jusqu’à ce qu’on
le confonde
avec ses semblables
qui avaient eux aussi
poussé poussé poussé
tout autour de lui
jusqu’à ce qu’on
lui marche dessus
sans faire exprès
jusqu’à ce
qu’on marche encore
sur le premier mot graine qui précède tous les autres

Alors on parle aux mots
aux mots qui
ont gardé un peu
un peu de lui
on leur parle
pour le retrouver dans
le jardin devenu jungle dans lequel
on marche encore
pour un peu
un peu le reconnaître
et leur demander
aux mots
à quoi servait-il
est-ce qu’il avait
bon goût
du moins aussi
bon que celui de son fantôme
il faisait quelle taille
en tout et pour tout
l’a-t-on amené
souvent chez le coiffeur
en quoi était-il
différent de tous les autres bruits
est-il lui-même
devenu un bruit
comme un acouphène
de la parole
le premier mot fantôme graine qui précède tous les autres

Ça y est
il est là
il est le trébuchement
le socle de l’erreur
celui qui aime les autres
et qui tombe le premier
pour servir de pont à la parole
le premier mot fantôme graine et pont qui précède tous les autres

Il est notre premier mot

Il est notre dernier mot