
Les guêpes agglomérées sur le kouign-amann de la boulangerie de la vieille ville.
Les discussions dans la librairie aux rayons ectoplasmiques.
Les dimanches enrubannés des trois desserts à la suite, au brunch — mais oui tu sais, celui au cœur de la rue dévorée par les chantiers.
Les pintes sucrées, les discussions forcées. La légèreté. Le délassement du et-on-dirait-que-j’étudie-encore-ici-pour-un-été. Le mot, « étudier », désempli de son acception, à l’image de tous les autres mots ces derniers temps. Deux bras, deux jambes, et l’énigme sans répartie : quoi d’autre ?
La ville sans enluvillé·e·s.
Les fenêtres sans têtes.
Les bars sans ami·e·s.
Vos danses idiotes. Vos journées oisives, rajeunies, à rebours. Les yeux intimidés posés sur la table bien mise ; la serviette lissée sans arrêt pour donner quelque chose à faire à des mains qui tout à coup ont oublié comment être des mains.
Ton envie de comprendre ce qui a engendré tout ce temps.
L’odeur de la chambre quand on y rentre. La journée en short. L’envie de se pavaner devant les vitrines des boutiques et des cafés. Les gens aux terrasses. Le soleil. La claustration des après-midis vacantes.
Le tenancier polonais et ses smoothies maison.
Les enfants remuants ces matins où « nulle part » est « partout à la fois ».
Les rires et les flottements. Les comment, les pourquoi. Le point d’interrogation qui s’étire, qui n’en finit pas.
La pulsion de vie. La pulsion de tout. La pulsion de drogue sans drogue, la pulsion d’alcool sans alcool. La bière toujours insupportable, mais plus douce avec les connivences d’en face. La question qui tourne en boucle dans la tête, qui fait s’asseoir sur le canapé sans moufter. Et si et si et si
Et si ?
Dans l’aquarium bondé quand ça paraît impensable, la déception face au tunnel absent, ce tunnel magique qui s’est volatilisé dans une dimension alternative, inatteignable. À la place, la moiteur de la végétation haletante entre les vitres qui vous tombent dessus.
La mer à perte de vue.
Les gens sur la plage.
Toi amaillottée, benête et surprise du beau temps.
Le musée jamais visité. Les rues longilignes sous les rayons ardents des velux qu’on voudrait dépasser. Dépasser et étendre le cou, sous les planètes, au-delà des nuages, parmi ces avions dans lesquels t’aurais aimé remonter moins tôt.
Ah. Stop. Ne rembobine pas au-delà.
La main au cœur du vent hurlant. Les trajets en voiture dans le gris de l’été capricieux.
Dans les matins éclatants, la machine à café de compétition et les discussions entre les encadrements de porte. Le sentiment d’exclusion (un peu quand même) : après tout, quand on s’isole volontairement, ou non, ça se paye. La chute dans les escaliers boisés, les gloussements qui y succèdent ; le corps qui se délasse, une seconde.
Les abdos qui niquent sa race sur les tapis. Les heures à pas savoir quoi faire. L’averse contre les carreaux inclinés. Les débats, les soupirs excédés, les voix qui s’étendent et qui contestent les murs. L’écran qui t’aspire et qui te fait mal.
Non. Reviens en avant.
Les salades toutes prêtes dans leur emballage en plastique. Les avocats à la chair tendre — convalescence dans la chambre métamorphosée en retraite. Les coupons qui prennent la poussière sous les punaises. La porte de la penderie qui sort de ses gonds pour ne plus jamais y revenir.
Le meuble bleu. Bleu violent. Bleu seul. Bleu inexistant. Les gens qui se croisent et qui ne se répondent pas. Les cohabitants qui se devraient colocataires mais qui n’en sont rien.
Sur les remparts malouins, le vent, les silhouettes qui sautent du plongeoir, le soulagement, les (dés)espoirs. Les photos. Le tissu qui en cachant embellit la forme, étire les yeux, fait voler les cheveux encore courts.
Le train et l’espace, soudain. Marche sur le sable. Encore une fois, tu n’as pas ton maillot de bain. Ah bah c’est malin.
Les coups de soleil. Toujours évitables mais jamais évités.
Les choses de peu d’importance.
Encore et toujours, les choses de peu d’importance, qui tiennent sur des lignes et des lignes, qui se déroulent et défilent, dont on (tu) se (te) fout.
Alors pourquoi t’y repenses, des fois ?
En un sens tu es toujours là. Assise dans la rue de la soif, le regard rivé devant toi. Attablée sous le vent avec vos assiettes qui débordent de la table. Dans les centres commerciaux où tu vogues comme en expédition. Promenader, prendre une bouffée d’air siliconé dans une galaxie qui se resserre.
Les choses de peu d’importance, au cœur d’un été de peu d’importance, dans une vie qui… Quoi ?
Les pulsions de vie, les pulsions de mort, les pulsions de tout, l’oxygène qu’on expire et qu’on avale, qu’on recycle inlassablement avec une indifférence qu’il ne mérite pas.
Les choses qui se rétrécissent, s’effilochent, se comptent sur les doigts d’une main si on a une main géante et deux cents doigts occupés à s’agiter dessus. Les choses qu’on veut passer comme une avance accélérée sur un caméscope ; les choses qui nous passent sous le nez. Forcément.
Les choses qui n’existent pas.
Les choses qui n’existent plus.
Les choses qui n’ont jamais existé.
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