Songes habitables

par Théo | 18 Jan 2021

Peinture armorigène par Jean-Claude Charbonnel

À Virginia Tentindo et les anagrammes corporelles de ses statues

 

Touche-moi
Ma peau est douce
comme une flamme
et mon corps entier
brûle de désir

Touche-moi
Je cache en moi
ma jeunesse et ma mort
ma réalité et mes rêves
Mes doigts tracent les dessins
impossibles du plaisir
Mes sexes béants et tendus
sont des portes équivoques

Touche-moi
Vois comme je me plie
en un millier de perfections
Vois comme je n’en finis pas de naître
et d’accoucher de chimères
Ma bouche s’ouvre
pour que je me vomisse
ou m’avale moi-même

Touche-moi
Le sang qui coule en mon sein
est encore animal
Je me fais lierre et écorce
J’inspire et expire des métamorphoses

Touche-moi
Je suis une mythologie
qui n’existe pas encore
On m’a donné des noms
pour que je les habille
de ma nudité
Mes visages sont des autels
que j’ôte à loisir

Touche-moi
Lorsqu’on me regarde
chacun croit que je le séduis
Les miroirs se contredisent
en me voyant
Je ne souhaite pas ressembler
mais faire ressembler

Touche-moi
Entre en moi pour me connaître
pour te connaître
Je te ferai visiter
des pays lointains
où les sens et le savoir
se superposent
Tu marcheras avec moi
sur les rives des passions
qui montrent toujours
le vrai chemin

Touche-moi
autant de fois qu’il le faut
pour que mes formes
s’impriment en tes mains
et pour que tu me multiplies
quand tes doigts nageront au hasard
dans la prime argile

Touche-moi
et mon fossile intact
sera une baignoire dans la mer

À Jean-Claude Charbonnel et sa mythologie armorigène

 

Les dieux sont lâchés

Les dieux du hasard
sont en liberté

Les dieux mangent les arbres
et rotent les pierres

Les dieux courent derrière
les sangliers et les biches

Les dieux cousent
les oiseaux sur le ciel

Les dieux promènent
le jour et la nuit

Les dieux inventent les yeux
de ceux qui les regardent

J’ai croisé une fois
un dieu qui portait
les lettres secrètes de son nom
dans des trous

Il m’a dit sans me parler
qu’il venait de naître
de la fissure d’un rochet
et qu’il aillait se baigner
dans les cascades de la lumière

D’autres fois encore
j’ai observé d’autres dieux

Ils s’assemblaient
dans la boue et les branches
et ils transformaient
les déchets et les ordures
en membres impossibles

Ils n’avaient ni os ni peau
mais laissaient tomber derrière eux
leurs ombres fossilisées
qui inventent nos rêves

Ils ne dressaient pas de dolmens
car c’était les dolmens
qui se dressaient pour eux

Bien sûr
les dieux avaient des fidèles
qui les transportaient
dans des cercueils inversés
et jouaient de la musique
pour les faire sortir
car les dieux aiment cela

Le vent faisait chanter
les angles et les courbes
de leurs têtes

Souvent
la mousse et l’écorce
organisaient des festins
sur les peaux rugueuses ou douces
des dieux
si bien qu’on en venait
à les confondre avec le décor
qu’ils habitaient

Les dieux ne portaient pas d’armes
car ils étaient des armes
qui ne chassaient jamais
non pas des armes à feu
mais des armes pour faire le feu

C’était des dieux minéraux
que mâchait le temps

Depuis lors
la mer a mille fois
accouché des dieux
et la terre à l’infini
a engendré leur corps

La mer et la terre
sont toujours des ventres fertiles
d’où les dieux s’élèvent
comme des champs de blé
ou de corail

Le dieux trouent les poubelles
pour prolonger l’imagination

Les dieux existent
pour peu qu’on se donne la peine
de les ramasser

À Laurent Doucet et tous les membres de la Rose Impossible
Que cette fleur incandescente ne cesse de fleurir dans l’or du temps

 

Voici mon rapport

Je veille

Je veille sur une langue derrière une porte
sur une réserve de briques
où les signes de ponctuation
reposent à la place de la poussière

Je veille parmi des cimetière de mots
qui ont pris la forme d’objets

Je veille sur des visages
qui ne ressemblent à aucun visage
sur des fenêtres sans rideaux
aux couleurs irréelles

Je veille au sommet de cette montagne noyée
avec dans les bras un fusil d’octobre
et je fais tous les jours réciter à l’écho
toutes les gammes de l’imagination

Je suis une avalanche
Je suis un chasseur d’Hypnos
dont les balles percent des trous d’oreille

J’ai les poches pleines de grains de lumière
pour jouer aux dés contre le ciel

Voici mon rapport

Je veille

Je veille sur notre Maison

Notre Maison n’est pas qu’une maison
Notre Maison est l’idée d’une maison
Notre Maison est un château
qui n’a que des portes d’entrée
et dont on ne compte plus les étages
Notre Maison est un bateau
qui vogue sur une mer de poissons
et qui mouille dans l’encrier d’une bougie
Et au dessus de notre Maison
la Terre brille de mille marées

Voici mon rapport

Je veille

Je veille la bouche ouverte
Un filet de songe coule sur ma joue

Je veille en dormant
Je veille à chaque fois que je dors

Je veille
Je rêve

Théo

1 Commentaire

  1. Juliette

    Merci pour tes mots, l’ami 🙂

    (Le premier me frappe particulièrement ; le corps, encore, toujours.)

    Réponse

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Vols planés #3

2024-2025

Deuil de l’étymologie

D’où vient-il, le tout premier mot ?
Pour sa carte blanche, Théo explore les contrées de la poésie orale, et nous emmène sur les traces de l’origine des mots.
Un texte à lire… et à écouter.

Compter les heures

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Vols planés #2

2022-2023

En suspens

« J’ai voulu t’empêcher de dire quelque chose d’irréversible. Je crois que par-dessus tout je ne voulais pas l’entendre. Pour ne pas avoir à te répondre, à te faire remarquer que ton propos était déplacé, que je ne pouvais pas l’accepter. Pour que ne résonne pas dans la pièce une idée que, d’emblée, je refusais. »

Aux origines de la révolution

« Peut-être qu’un jour, on osera mettre un mot sur ce qu’il s’est passé.
On y repensera, on se demandera comment ça a émergé, oui, comment déjà ? Il y avait Kériel, bien sûr, mais avant ? Et alors, on se souviendra d’elle. La petite bête. »

Chute libre

« Un mangeur de mondes a repéré notre planète. Le grand personnage se croit si puissant qu’il peut la gober, qu’il peut l’avaler en entier. Il la toise au creux de sa main, la fait rouler dans sa paume en retroussant ses babines dans un bruit de succion. »

Pour que l’aube advienne

« Nous pensions encore la veille être en zone libre. Mais c’était un matin de novembre 1942, et les allemands venaient d’entrer à Saint-Cirq-Lapopie. »

Tout Se Mélange

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Classé sans suite

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Ça recommence.

« Le piège à ours s’est refermé sur toi d’un coup, clac. Tu ne savais même pas que tu étais perdue dans la forêt ; tu ne savais même pas que tu devais faire attention. »

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Trois poèmes pour confronter notre humanité et les actes de guerre qui se perpétuent malgré tout.

Grenouille

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Vols planés #1

2021

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Pour sa première carte blanche,
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Un voyage audio et musical dans l’infiniment petit…

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