

Peinture armorigène par Jean-Claude Charbonnel
À Virginia Tentindo et les anagrammes corporelles de ses statues
Touche-moi
Ma peau est douce
comme une flamme
et mon corps entier
brûle de désir
Touche-moi
Je cache en moi
ma jeunesse et ma mort
ma réalité et mes rêves
Mes doigts tracent les dessins
impossibles du plaisir
Mes sexes béants et tendus
sont des portes équivoques
Touche-moi
Vois comme je me plie
en un millier de perfections
Vois comme je n’en finis pas de naître
et d’accoucher de chimères
Ma bouche s’ouvre
pour que je me vomisse
ou m’avale moi-même
Touche-moi
Le sang qui coule en mon sein
est encore animal
Je me fais lierre et écorce
J’inspire et expire des métamorphoses
Touche-moi
Je suis une mythologie
qui n’existe pas encore
On m’a donné des noms
pour que je les habille
de ma nudité
Mes visages sont des autels
que j’ôte à loisir
Touche-moi
Lorsqu’on me regarde
chacun croit que je le séduis
Les miroirs se contredisent
en me voyant
Je ne souhaite pas ressembler
mais faire ressembler
Touche-moi
Entre en moi pour me connaître
pour te connaître
Je te ferai visiter
des pays lointains
où les sens et le savoir
se superposent
Tu marcheras avec moi
sur les rives des passions
qui montrent toujours
le vrai chemin
Touche-moi
autant de fois qu’il le faut
pour que mes formes
s’impriment en tes mains
et pour que tu me multiplies
quand tes doigts nageront au hasard
dans la prime argile
Touche-moi
et mon fossile intact
sera une baignoire dans la mer
À Jean-Claude Charbonnel et sa mythologie armorigène
Les dieux sont lâchés
Les dieux du hasard
sont en liberté
Les dieux mangent les arbres
et rotent les pierres
Les dieux courent derrière
les sangliers et les biches
Les dieux cousent
les oiseaux sur le ciel
Les dieux promènent
le jour et la nuit
Les dieux inventent les yeux
de ceux qui les regardent
J’ai croisé une fois
un dieu qui portait
les lettres secrètes de son nom
dans des trous
Il m’a dit sans me parler
qu’il venait de naître
de la fissure d’un rochet
et qu’il aillait se baigner
dans les cascades de la lumière
D’autres fois encore
j’ai observé d’autres dieux
Ils s’assemblaient
dans la boue et les branches
et ils transformaient
les déchets et les ordures
en membres impossibles
Ils n’avaient ni os ni peau
mais laissaient tomber derrière eux
leurs ombres fossilisées
qui inventent nos rêves
Ils ne dressaient pas de dolmens
car c’était les dolmens
qui se dressaient pour eux
Bien sûr
les dieux avaient des fidèles
qui les transportaient
dans des cercueils inversés
et jouaient de la musique
pour les faire sortir
car les dieux aiment cela
Le vent faisait chanter
les angles et les courbes
de leurs têtes
Souvent
la mousse et l’écorce
organisaient des festins
sur les peaux rugueuses ou douces
des dieux
si bien qu’on en venait
à les confondre avec le décor
qu’ils habitaient
Les dieux ne portaient pas d’armes
car ils étaient des armes
qui ne chassaient jamais
non pas des armes à feu
mais des armes pour faire le feu
C’était des dieux minéraux
que mâchait le temps
Depuis lors
la mer a mille fois
accouché des dieux
et la terre à l’infini
a engendré leur corps
La mer et la terre
sont toujours des ventres fertiles
d’où les dieux s’élèvent
comme des champs de blé
ou de corail
Le dieux trouent les poubelles
pour prolonger l’imagination
Les dieux existent
pour peu qu’on se donne la peine
de les ramasser
À Laurent Doucet et tous les membres de la Rose Impossible
Que cette fleur incandescente ne cesse de fleurir dans l’or du temps
Voici mon rapport
Je veille
Je veille sur une langue derrière une porte
sur une réserve de briques
où les signes de ponctuation
reposent à la place de la poussière
Je veille parmi des cimetière de mots
qui ont pris la forme d’objets
Je veille sur des visages
qui ne ressemblent à aucun visage
sur des fenêtres sans rideaux
aux couleurs irréelles
Je veille au sommet de cette montagne noyée
avec dans les bras un fusil d’octobre
et je fais tous les jours réciter à l’écho
toutes les gammes de l’imagination
Je suis une avalanche
Je suis un chasseur d’Hypnos
dont les balles percent des trous d’oreille
J’ai les poches pleines de grains de lumière
pour jouer aux dés contre le ciel
Voici mon rapport
Je veille
Je veille sur notre Maison
Notre Maison n’est pas qu’une maison
Notre Maison est l’idée d’une maison
Notre Maison est un château
qui n’a que des portes d’entrée
et dont on ne compte plus les étages
Notre Maison est un bateau
qui vogue sur une mer de poissons
et qui mouille dans l’encrier d’une bougie
Et au dessus de notre Maison
la Terre brille de mille marées
Voici mon rapport
Je veille
Je veille la bouche ouverte
Un filet de songe coule sur ma joue
Je veille en dormant
Je veille à chaque fois que je dors
Je veille
Je rêve
Théo
Merci pour tes mots, l’ami 🙂
(Le premier me frappe particulièrement ; le corps, encore, toujours.)